Résumé : Ameur sort pour se rendre au marché, et Mordjana se lève pour faire la vaisselle. Au même moment, Saléha arrive. Elle a préparé des crêpes pour sa fille. Une façon de se faire pardonner son comportement. Elle parle de son passé. L’ivrogne de son mari ne lui avait pas rendu la vie facile. Mimouna réplique que son fils n’était pas un ivrogne avant de l’épouser.
Saléha déglutit et regarde sa fille comme pour chercher une échappatoire. Mordjana baisse les yeux, puis les relève pour lancer :
- Le passé est mort, n’y pensons plus. Veux-tu une tasse de café, maman ?
- Oui. Je veux bien.
Mordjana la sert, puis retourne à sa vaisselle.
- Comment vont les autres ?
- Ils vont tous bien. Maroua travaille maintenant.
- C’est vrai ? Elle ne me l’a pas dit.
- Elle vient de commencer. Elle est secrétaire dans un CEM.
- Tant mieux pour elle. Je craignais tant pour son mariage.
Saléha hausse les épaules.
- Elle a fait son choix. C’est elle qui avait voulu épouser Djamel, ton cousin.
Mimouna intervient encore :
- C’est comme pour toi. Tu voulais épouser Ahmed alors qu’il était encore sous les drapeaux.
Saléha ne relève pas la remarque de sa belle-mère. Elle contemple un moment sa fille et lui demande :
- Tu t’es rendue chez Lla Sakina hier, n’est-ce pas ?
Mordjana baisse les yeux et garde le silence. Mimouna se lève et s’approche de sa bru.
- Oui. Elle s’est rendue chez Lla Sakina. Et alors ? Tu trouves quelque chose à redire là-dessus ?
- Non. Je voulais juste en connaître la raison. Tu es enceinte, Mordjana ?
La jeune femme secoue la tête sans prononcer un mot. Mimouna lance :
- Si c’était le cas, elle n’aurait pas eu besoin de ses services.
Saléha, qui commence enfin à saisir les raisons de la venue de sa fille, tire une chaise et s’assoit, avant de dire d’une voix où perce la raillerie :
- Tu vois, Mordjana, comme le destin est cruel ! Il n’y a pas longtemps, tu me reprochais mes grossesses répétées, et te voilà à chercher par tous les moyens à avoir un enfant. C’est ce qu’on appelle l’ironie du sort.
Mordjana sent les larmes ruisseler sur son visage. La cruauté du destin n’est rien devant les remarques acerbes et sans pitié de sa maternelle. Elle relève les yeux vers elle et réplique :
- Je ne t’ai jamais rien reproché, mère. Je voulais te démontrer que tes nombreuses grossesses t’usaient et qu’avoir un enfant chaque année était de la pure inconscience. La preuve, nous avons tous manqué d’affection, et j’ai dû sacrifier mon avenir pour t’aider dans tes tâches ménagères et l’éducation des petits.
- Alors pourquoi cherches-tu à avoir des enfants ?
- Figure-toi que je n’ai pas l’intention d’en avoir une quinzaine comme toi. Cette envie d’enfanter me vient après près de trois années de mariage. Je veux un enfant pour couronner mon bonheur et marquer ma reconnaissance envers celui qui m’a tout donné. Samir aussi a le droit d’espérer être père un jour.
- Et pour cela tu n’as trouvé que Lla Sakina pour te réconforter. Aussi vieille qu’elle est aujourd’hui, je ne pense pas qu’elle te sera d’un grand secours.
Mordjana hausse les épaules.
- Tant pis ! Du moins j’aurais tout essayé : de la médecine moderne à la traditionnelle.
Elle s’essuie les yeux et demande d’une voix chevrotante à sa grand-mère :
- N’est-ce pas qu’on ne peut pas tout avoir dans la vie ?
Mimouna s’approche d’elle et met un bras autour de ses épaules.
- Le bonheur n’est pas une épice qu’on trouve dans une épicerie. Il faut le chercher, le trouver et savoir le garder. Si tu n’as pas d’enfant Mordjana, ce n’est pas la fin du monde. Des milliers de femmes ont opté pour l’adoption, pourquoi pas toi ?
Mordjana secoue la tête.
- J’aimerais avoir mon propre enfant.
- C’est ce que je pourrais te souhaiter de tout mon cœur. N’écoute pas ta mère. Fais ce qui te semble le mieux pour ton couple et remets-toi à Dieu pour réaliser tes vœux.
Saléha se lève.
- Vous n’aimez pas la vérité. Elle blesse, n’est ce pas ? Tu vois Mordjana, c’est un peu la justice divine qui s’abat sur toi. Tu es stérile parce que tu m’as toujours tenu tête. Tu m’as toujours réprimandé pour mon ignorance. Tu voyais d’un mauvais œil mes accouchements réguliers. Moi, je suis aussi fertile qu’une rivière en crue.
Elle met une main sur son ventre.
- Ici, c’est moi qui commande. Je pouvais aller jusqu’à doubler ma progéniture si on ne m’avait pas ligaturé les trompes dans cet hôpital où tu m’avais emmenée pour mon dernier petit. Je n’aimerais pas parler d’une éventuelle vengeance de la nature, mais je ne pourrais comprendre les raisons de ta stérilité, étant donné que dans la famille, et jusqu’à ce jour, tu es la seule à souffrir de ce mal. Regarde un peu ta sœur Maroua. Dès la première année de son mariage, elle a mis au monde son premier enfant.
À SUIVRE