Dans cette interview, Nasr Eddine Lezzar, avocat d’affaires et praticien en arbitrage, revient sur l’information rapportée la semaine dernière par Reuters selon laquelle BP négocie la cession de ses actifs algériens à ENI. Notre interlocuteur estime que nous sommes face à un remake de l’affaire Total-Anadarko qui appelle à l’usage du droit de préemption.
Liberté : BP et ENI auraient entamé des pourparlers en vue de céder des actifs algériens de la firme britannique au groupe italien. Un éventuel accord entre les deux compagnies serait-il compatible avec la législation algérienne ?
Lezzar Nasr Eddine : Il ressort des quelques éléments disponibles qu’il ne s’agit pas d’une information officielle émanant des parties concernées mais d’une source anonyme “demandant à ne pas être nommée”. Reuters a rapporté que “BP et Eni étaient en pourparlers préliminaires pour que le groupe italien reprenne les actifs de BP en Algérie”. Pour l’heure, l’information n’a pas été démentie. Tout laisse supposer que nous sommes devant une fuite organisée destinée à servir de ballon-sonde pour évaluer la réaction officielle algérienne. Des contradictions sont à déceler dans le communiqué lui-même. “Les parties envisagent une vente pure et simple ainsi qu’une option pour que BP reçoive des participations dans les actifs d’ENI dans le monde entier…”, rapporte Reuters, qui indique que les parties en question “ont également examiné l’idée de créer une joint-venture dans le pays d’Afrique du Nord, similaire au modèle angolais”. Ainsi nous ne sommes pas devant une vente pure et simple mais un grand partenariat dont la vente n’est qu’un élément. Il s’agirait, aussi, de reprise d’actifs et non de cessions d’actions. ENI n’achète pas des participations mais des biens, probablement des puits de pétrole déjà découverts. L’opération semble juteuse et l’Algérie a tout intérêt à préempter. Cependant il n’est pas évident que le droit de préemption soit ouvert car un problème de rétroactivité pourrait s’opposer. Il faut vérifier la date d’acquisition par BP des actifs à céder à ENI car c’est la loi en vigueur à cette époque qui est applicable et il faut vérifier si le droit de préemption était prévu à cette date.
Pour la transaction Anadarko-Total, semblable aux négociations menées par BP et ENI, Sonatrach avait opposé son droit de veto. Entre-temps, la nouvelle loi sur les hydrocarbures a été adoptée. Celle-ci prévoit-elle des solutions à de pareilles situations ?
La loi sur les hydrocarbures (modifications du 20/02/2013) ouvre des possibilités dans son article 31 qui subordonne les transferts des droits et obligations dans un contrat de recherche et d'exploitation pétrolière, à l'accord d'Alnaft et non à Sonatrach. Cette option mérite d'être approfondie davantage. Sur ce point, il y a une problématique sur laquelle on devrait réfléchir : Sonatrach est toujours évoquée dans les problématiques liées à l’acquisition des actifs pétroliers étrangers alors que c’est Alnaft qui est titulaire du droit de préemption ! La prééminence de Sonatrach sur les autres institutions chargées de la gestion de notre pétrole est une survivance des lois anciennes entretenues par des motifs politiques. On évoque souvent Sonatrach dans ces dossiers en oubliant les autres entités compétentes. Sonatrach a tendance à se prendre pour l'État algérien. On se rappelle qu’Ould Kaddour annonçait lui-même la réforme de la loi sur les hydrocarbures alors qu'il s'agit d'une prérogative du gouvernement. En outre il faut que les ressources pétrolières soient un domaine de souveraineté où l’exception politique prévaut sur la règle juridique.
Est-ce que dans le fond, la transaction Total-Anadarko ressemble réellement à celle recherchée par BP et ENI pour que les autorités algériennes compétentes bloquent cette dernière ?
C’est un élément qui me semble fondamental. Les autorités algériennes s’étaient opposées à la cession des actifs d’Anadarko à Total — du moins ils l’avaient annoncé, même si on ne connaît pas la suite — pourquoi tolérer cela pour ENI ?
Propos recueillis par : Ali T.