L’expérience démocratique tunisienne semble prendre une périlleuse trajectoire. Alors que les Tunisiens s’apprêtent à célébrer le 11e anniversaire du renversement du régime policier de Ben Ali au terme d’une extraordinaire révolution démocratique, le pays s’enfonce dans un régime d’exception. Après le tour de vis autoritaire de mai dernier, voilà que le président tunisien Kaïs Saïed confirme sa tentation autoritaire en décidant de prolonger la période extraconstitutionnelle. S’emparant de tous les leviers de pouvoir - Exécutif, parlementaire et judiciaire - à la suite d’une succession de coups de force, le régent de Carthage engage la Tunisie sur la voie de l’autoritarisme où il s’arroge le rôle de souverain.
Il a opéré un démantèlement de tous les instruments de la gouvernance démocratique mise en place au terme d’un intelligent processus de transition porté par toutes les forces politiques du pays. En prenant prétexte d’une crise parlementaire, il décide de fermer l’enchantante parenthèse démocratique en ayant en ligne de mire la révision de la Constitution comme ultime étape dans sa marche vers la restauration du régime d’avant le 14 janvier 2011. L’énigmatique professeur de droit, sorti de nulle part, est en passe de faire de la Tunisie “une dictature entre les mains d'un seul homme”, pour reprendre l’expression du grand constitutionnaliste Yadh Ben Achour. Animé de velléités autocratiques, le nouvel homme fort de Carthage accomplit ainsi ce qu’espéraient tous les opposants au vent de liberté qui a soufflé sur la région depuis l’immolation de Mohamed Bouazizi. D’abord, les nostalgiques du despotisme au plan local.
Ensuite, les régimes tyranniques de la région. Pour les démocrates tunisiens, la main des monarchies du Golfe n’est pas étrangère à ce mouvement d’arriération politique. En fossoyeurs de démocratie, ils s’emploient à arracher à la racine ce Jasmin de liberté avant que son odeur ne se répande dans toute la région. Ils n’acceptent pas l’idée que la Tunisie serve d’exemple de laboratoire démocratique dans une sphère régionale écrasée par des régimes aussi brutaux que féodaux. De l’Euphrate à Marrakech, point d’émancipation, c’est le régime de la soumission qui doit dominer. Alors que les peuples de la région se connectent à la modernité politique et réclament leur part d’universalité, les pouvoirs freinent des quatre fers cette marche du progrès humain.