Elle renaît de ses cendres. Après le passage destructeur des flammes de l’été dernier, la Kabylie éclot. De nouveau, ses collines refleurissent. Signe d’une exceptionnelle résistance aux épreuves les plus tragiques. À force de bras, elle est allée chercher au plus profond de ses racines ce qui fait l’essence même de la vie, l’espoir. D’Ikhlidjen à Igrev, d’Ath Yenni jusqu’aux confins de Barbacha, la vie jaillit de la terre brûlée. Tels des rescapés d’une guerre, les habitants de ces villages embrasés n’ont pas cédé au cauchemar de la fatalité. Cela fait cent jours qu’ils ferraillent, seuls, contre le désastre. Les aides de l’État sont très en deçà des attentes et des urgences. Insignifiantes. Le gouvernement est resté, incompréhensiblement, indifférent aux appels à décréter la région zone sinistrée. Ne comptant que sur leurs bras et une solidarité citoyenne singulière, les villageois rebâtissent, reboisent, irriguent et surtout pansent les blessures des familles endeuillées.
Le traumatisme de l’effroyable semaine d’août qui ébranla tout le pays se lit encore sur les visages. Si elle n’a pas brûlé les cœurs, la fureur des feux a ouvert une plaie béante dans ces montagnes de la dignité. Faut-il rappeler qu’à peine les feux éteints et les morts pas encore enterrés, des coupables étaient promptement désignés et des villages quadrillés, rajoutant de la terreur à l’effroi. En toile de fond se profilait une velléité de punir. Une double souffrance infligée à la Kabylie au moment où elle avait plus besoin de soutien et de compassion. Certains ont honteusement brandi le drame de Djamel Bensmaïl pour culpabiliser la terre d’Abane Ramdane au point de passer sous silence les dizaines de morts brûlés vifs par des flammes venues de l’enfer.
Depuis, la région est comme plongée dans le silence, renvoyée à elle-même, à ses atavismes. Blessés dans leur chair, les Algériens de partout se sont vite soulevés et sont allés au secours de leurs compatriotes pris entre plusieurs feux. Dans une exceptionnelle mobilisation citoyenne, manifestée spontanément et sans injonction aucune, ils ont réussi à éviter au pays l’irréparable. Elle a cimenté par anticipation un édifice qui était sur le point de céder. En Kabylie, ils se souviendront toujours de cette générosité, tout comme ils n’oublieront pas les blessures subies. Ils ont aussi la profonde conviction que l’on ne pourra jamais empêcher le printemps… Il n’en sera que plus beau. De Larbâa Nath Irathen à Bouhmama. ■