Alors que le gouvernement algérien souhaite la révision, clause par clause, de l’Accord d’association, Bruxelles assure de son côté qu’elle n’a pas été officiellement saisie. C’est ce qu’a déclaré le chef de la délégation de l’Union européenne en Algérie. Thomas Eckert estime que la situation actuelle ne nécessite pas une grande révision de l’Accord.
Liberté : Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a donné des instructions au gouvernement à l’effet de revoir les dispositions de l’Accord d’association “clause par clause”. Quelle est la position de l’Union européenne sur cette question ?
Thomas Eckert : Un accord peut toujours être revu, discuté et même changé. Mais c’est une démarche qui ne se fait pas très souvent. Si vous regardez les accords d’association, normalement, ils restent en vigueur sans changement pendant de très longues années. Cela ne veut pas dire que ce ne sera pas possible. Après, il faut préciser les changements souhaités et sur quels volets. Parce que l’Accord d’association couvre tous les aspects de notre relation, pas uniquement le volet commercial qui est sujet à débat. Je crois que la coopération économique, où nous avons plusieurs programmes très importants avec le gouvernement algérien, fonctionne bien. C’est pour cela que je dis que la situation ne nécessite pas une grande révision de l’Accord. Ensuite, il y a, en effet, d’autres domaines où nous pourrions approfondir la coopération. Je peux citer le dossier de la migration où nous aimerions bien aller beaucoup plus loin que ce que nous avons fait jusque-là. Je dois dire qu’à ce propos, j’ai senti chez le ministre des Affaires étrangères, M. Lamamra, cette volonté de lancer des projets triangulaires, dans le domaine de la migration, entre le Niger, l’Algérie et l’Union européenne, sur les frontières sud du pays. Dans ce domaine, nous pouvons envisager quelque chose de beaucoup plus large et de beaucoup plus détaillé. En matière de dialogue politique, l’Accord reflète ce que nous faisons avec tous les pays tiers. Il n’y a peut-être pas beaucoup de choses à changer. Il y a également d’autres domaines, comme les institutions politiques et les droits humains. Dans les accords d’association plus récents, nous avons un langage un peu plus élaboré sur les droits humains.
En bref, oui, la révision de l’Accord est possible. Après, il faut voir sur quelle question exactement on veut apporter des changements.
Comment Bruxelles a-t-elle accueilli la demande du Président algérien ? En êtes-vous officiellement saisi ?
J’ai discuté avec le président de la République et j’ai abordé la question avec des ministres du gouvernement. Mais nous n’avons pas reçu un exposé par écrit. Il faut avoir les détails et les souhaits du gouvernement algérien. Concernant la position de Bruxelles, nous sommes ouverts à la discussion. Nous avons eu un exercice très similaire en 2015 et 2016 ; à l’époque, nous avions clôturé les discussions sans le changement de l’accord. Mais la Commission européenne reste ouverte sur cette question.
Y a-t-il possibilité d’une révision globale de l’Accord tel que proposé par l’État algérien ?
Nous pouvons tout revoir. Nous pouvons tout changer. Mais il faut être clair, ce sont des accords qui sont ratifiés par les Parlements des deux côtés. Un accord mixte exige la ratification des 27 pays membres de l’Union européenne. Si les changements à apporter relèvent de la compétence de l’Union, ce n’est pas nécessaire ; mais si les modifications sont importantes, l’accord doit être ratifié par les pays membres. Cela peut durer, dans le meilleur des cas, entre 3 à 5 ans. Il y a cette perspective d’une adaptation potentielle de l’Accord, mais il y a d’autres choses qu’il faut faire en parallèle. On ne peut pas attendre cinq ans avant de remettre une relation sur une base modernisée. Nous pouvons faire beaucoup de choses ensemble entretemps, y compris pour résoudre nos différends commerciaux.
Vous évoquez justement les différends commerciaux. L’Algérie a affiché, dès 2015, son insatisfaction face aux résultats jugés asymétriques de l’application de l’Accord d’association. Qu’en pensez-vous ?
Je peux absolument comprendre les frustrations par rapport au déséquilibre de la balance commerciale en défaveur de l’Algérie. Certes, la balance commerciale est aujourd’hui défavorable à l'Algérie. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Avant la chute des prix du pétrole, en 2015, les relations étaient plutôt en faveur de l’Algérie. En 2012 ou 2013, la balance commerciale de l’Algérie a enregistré un fort excédent commercial atteignant 10 milliards de dollars. Cela a malheureusement changé à cause de la chute des prix du pétrole. Il faut comprendre que la dynamique dépend de plusieurs facteurs. L’équilibre commercial ne se règle pas par un texte légal ou un accord écrit. L’équilibre commercial reflète la situation économique.
Pour renforcer la position d’exportateur de l’Algérie, il faut agir sur d’autres paramètres qui sont plus importants, pas uniquement le cadre juridique d’un accord. Il faut certainement mobiliser et attirer plus d’investissements étrangers, et aussi rendre les conditions plus attrayantes pour les investisseurs potentiels. Il faut, aussi, réformer le système bancaire et entreprendre des réformes pour rendre l’Algérie beaucoup plus attractive à l’investissement. Les chiffres des IDE (investissements directs étrangers) ne sont pas à la hauteur du potentiel de l’Algérie. Depuis des années, ils se situent en dessous de 1% du produit intérieur brut (PIB).
Pour un pays comme l’Algérie, c’est insignifiant. Il faut dire qu’en matière d’exportation, ou d’importation, ou bien d’investissement, ce sont les entrepreneurs qui décident. Ce ne sont ni le gouvernement, ni des fonctionnaires, ni des institutions publiques qui décident. Ce sont les “businessmen” à Turin, à Francfort et à Paris qui choisissent où investir. On ne peut pas leur forcer la main. Il faut faire en sorte qu’ils aient envie de venir et d’investir. C’est au-delà de ce que nous pouvons régler dans le cadre de l’Accord d’association.
Mais l’Accord est censé, également, donner un signal positif aux investisseurs...
Tout à fait. C’est la raison pour laquelle, lorsque nous parlons de la révision substantielle de l’Accord, il ne faut pas oublier un domaine extrêmement important que représente l’investissement étranger. Il faut prévoir des accords de protection de l’investissement. Nous n’avons pas ce type d’accord avec l’Algérie. Nous pouvons, dans un cadre à part, régler la question de protection des investissements en Algérie.
Où en êtes-vous des négociations sur les différends commerciaux ?
Nous discutons beaucoup sur les différends commerciaux. Nous travaillons depuis plusieurs mois sur un texte, sous la forme d’un mémorandum, qui sera adopté par les deux parties. Nous sommes proches d’un accord, dans lequel nous allons résoudre nos différends commerciaux, y compris ceux relatifs au secteur des véhicules et aux droits additionnels provisoires de sauvegarde (DAPS). Près de 1 000 positions tarifaires sont concernées. Les droits additionnels provisoires de sauvegarde devraient être levés progressivement. Dans un premier temps, il est envisagé de supprimer deux tiers des DAPS avant la fin de l’année en cours. Pour les véhicules, le règlement du différend commercial devrait intervenir dans les premiers mois de l’année prochaine.
Qu’en est-il de l’accord stratégique dans le secteur de l’énergie ?
L’Algérie est le troisième fournisseur de gaz de l’Union européenne. Pour certains pays comme l’Espagne et l’Italie, le gaz algérien est important. Malgré les problèmes pour l’approvisionnement de l’Espagne – à cause des décisions prises récemment par le gouvernement algérien –, la situation reste satisfaisante. La situation est gérée par les deux parties avec satisfaction. Dans le domaine de l’énergie, nous pouvons faire autre chose. On voudrait bien – c’est aussi l’agenda de la Commission européenne – entrer dans la transition énergique. Un énorme potentiel existe dans ce domaine. C’est le cas pour l’hydrogène vert. L’Algérie dispose d’un atout majeur pour produire de l’hydrogène vert en grande quantité, qui pourrait être exporté à travers les gazoducs. C’est la même chose pour le photovoltaïque. Il faut concrétiser ces opportunités le plus vite possible.
Qu’en est-il du dialogue en matière de migration et de mobilité entre l’UE et l’Algérie ?
Nous discutons régulièrement de la question avec les autorités algériennes. Nous avons tenu une réunion, l’été dernier, qui était très fructueuse. Je crois qu’il faut l’aborder avec calme et sérénité. Lorsque vous analysez les chiffres des arrivées illégales l’année dernière, ils sont beaucoup moins importants pour la partie Méditerranée occidentale que pour la Méditerranée centrale et même la Méditerranée orientale. La tendance n’est pas aussi inquiétante que certains discours européens le suggèrent.
Quel bilan tirer de cette coopération dans le domaine de la réforme des institutions ?
Je dirais que c’est le domaine où il y a le plus de travail à réaliser des deux côtés. La gouvernance économique doit être réformée. Même le président de la République le dit ; il a annoncé que 2022 serait l’année de l’économie.
La dernière rencontre sur la relance industrielle a mis en exergue les défis à relever. L’institution qui était chargée de soutenir les investissements n’a pas complètement rempli sa mission. C’est exactement dans ce domaine qu’il faut agir avec beaucoup plus d’ambition. Et l’Union européenne est là pour apporter son soutien.
L’Accord d’association couvre aussi le domaine des droits de l’Homme. Ce dossier est-il abordé dans vos discussions ?
La question des droits de l’Homme est très importante. Ce sont des questions qui sont abordées par plusieurs acteurs de façon différente. Le Parlement européen a un rôle à jouer. Au Conseil comme à la Commission et aux services extérieurs, la question est abordée, mais pas toujours en public.
Ce qu’il est important de dire, c’est qu’il ne faut pas non plus faire de ces questions importantes un tabou.
Vous évoquez la politique de voisinage. L’Algérie paraît un peu hésitante par rapport aux autres pays...
Des potentiels de coopération avec l’Algérie existent dans plusieurs domaines. J’ai parlé de la migration et de la gouvernance économique. Mais il y a aussi la coopération régionale, les programmes transméditerranéens dans lesquels tous les pays du Sud sont impliqués.
Mais pour le moment, l’Algérie n’a pas décidé de participer avec des projets concrets, avec un financement.
C’est une occasion, dans le cadre de la révision de l’Accord d’association, d’explorer ces pistes pour aller au-delà de ce que nous avons fait jusqu’à maintenant.
Plus globalement, l’Algérie est-elle un partenaire important pour Bruxelles ?
Absolument. L’Algérie est un pays-clé dans le voisinage Sud. Et dans tous les domaines.
Entretien rélaisé par : Meziane Rabhi et Hassane Ouali