Magazine ILs fuient la misère de leur pays pour gagner l’Iran

La traversée périlleuse des désespérés afghans

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AFP Publié 11 Mars 2022 à 19:37

La plupart des migrants sont prêts à prendre tous les risques pour échapper à l'effondrement de l'économie afghane. © D.R
La plupart des migrants sont prêts à prendre tous les risques pour échapper à l'effondrement de l'économie afghane. © D.R

Dans le vrombissement des moteurs et la poussière, Sattar Amiri grimpe avec sa femme et son nourrisson à bord d'un pick-up prêt à foncer dans le désert afghan. Comme les centaines de migrants désespérés autour de lui, il n'a qu'un seul objectif : “Atteindre l'Iran.”

“Je n'ai pas le choix, il n'y a aucun futur en Afghanistan”, lâche Sattar, 25 ans. À Zarandj, ville frontalière du sud-ouest de l'Afghanistan, le flot de candidats à l'exil atteint 5000 à 6000 personnes chaque jour, environ quatre fois plus qu'avant le retour au pouvoir des talibans en août, selon plusieurs passeurs expérimentés. La nuit, les plus téméraires tentent d'escalader l'imposant mur qui sépare cette cité aride de l'Iran tout proche, malgré les tirs des gardes-frontières. Le jour, des milliers d'hommes, femmes et enfants, s'entassent dans de vieux 4x4 pour un long périple dans le désert et les montagnes, afin de contourner la longue muraille et d'atteindre la terre persane en passant par le Pakistan. La plupart sont prêts à prendre tous les risques pour échapper à l'effondrement de l'économie afghane, provoqué par le gel de milliards d'avoirs détenus à l'étranger et l'arrêt brutal de l'aide internationale qui portait le pays à bout de bras depuis 20 ans. Sattar a perdu son travail de mécanicien pour l'armée il y a six mois.

Depuis, impossible de retrouver un emploi, dans un pays où le chômage explose. Alors, il a vendu sa maison de Mazar-i-Sharif (Nord), pour financer la fuite de sa famille vers l'Iran, où il compte prendre “n'importe quel travail”.  Comme lui, environ 990 000 Afghans ont quitté leur région d'origine entre août et décembre 2021 pour tenter de fuir principalement vers l'Iran et le Pakistan, selon un récent rapport de l'Organisation internationale des migrations (OIM). 

Industrie de la misère
Cet exode a transformé Zarandj, repaire historique de passeurs, en industrie de la misère. Dans les hôtels délabrés du centre, où les fuyards de passage dorment sur de simples tapis, le désespoir économique se mêle à la terreur éprouvée par certains face au nouveau règne taliban. Ancien policier, Mohummad tente ainsi de gagner l'Iran après avoir été tabassé deux fois par les combattants islamistes. Ils lui réclament son arme de service, qu'il a déjà rendue. “S'ils viennent une troisième fois, ils vont vraiment me tuer”, redoute le jeune homme de 25 ans, venu de la province de Daikundi (centre), et qui refuse de divulguer son nom de famille. Selon l'ONU, les talibans ont tué plus d'une centaine de membres des anciennes forces de sécurité depuis août. 

Les passeurs, eux, se frottent les mains face à l'afflux de clients. Derrière le volant de son 4x4, Hamidullah a doublé ses prix pour conduire les migrants à travers le désert. “Maintenant c'est six millions” de tomans (environ 220 euros en monnaie iranienne), contre trois millions avant les talibans, sourit ce roublard de 22 ans, qui travaille avec la bénédiction des fondamentalistes. Chaque jour, les chauffeurs comme lui se regroupent sur un parking de Zarandj, surplombé du drapeau blanc taliban et surveillé par des combattants armés. 

Là, ils empilent les hommes à l'arrière de leur pick-up et entassent femmes et enfants dans la cabine conducteur. Contre une taxe de 1000 afghanis – presque 10 euros – par véhicule, les islamistes leur tamponnent un bordereau permettant de passer le check-point à la sortie de la ville. Mi-février, l'AFP a vu 300 pick-up effectuer ce manège, chacun rempli d'une vingtaine de personnes, soit environ 6000 migrants transportés en une seule journée. 

Des chiffres contestés par les talibans. 
“Affirmer que 6 000 Afghans quittent le pays par une seule frontière en une seule journée est de la propagande”, a déclaré Mohammad Arsala Kharutai, vice-ministre des Réfugiés et des Rapatriements. “Autant d'Afghans ne partent pas” et “personne ne peut donner de chiffre exact”, a-t-il répondu à l'AFP lors d'une conférence de presse à Kaboul. 

Sur les pistes chaotiques du désert, les 4x4 fatigués filent pendant huit heures, avec des pointes à 120 km/h. Et gare à celui qui lâche prise. Récemment, un des clients d'Hamidullah est mort sur le coup en tombant. Arrivés à la frontière pakistanaise, les passeurs remettent les migrants à d'autres “partenaires”, chargés de leur faire traverser à pied une zone montagneuse pour rejoindre l'Iran. 
 
Dizaines de morts 
Pour Maihan Rezai, cette route reste inenvisageable. En tant que membre de la minorité chiite hazara, l'étudiant en design de 20 ans est une proie facile pour les combattants du Joundallah, un groupe sunnite radical armé responsable de kidnappings dans les recoins désertiques du Pakistan. “Ils nous attrapent parce que nous sommes chiites et nous torturent”, explique-t-il. “Avant, ils avaient l'habitude de décapiter, mais maintenant ils retiennent les gens et réclament une rançon.” Lui et ses amis tentent donc d'escalader le mur frontière avec l'Iran, qui s'étend à perte de vue à la sortie de Zarandj. 

Franchir ces cinq mètres de béton coiffés de barbelés est une opération délicate qui s'effectue de nuit, souvent sous les balles des gardes-frontières iraniens. Les passeurs soudoient le soldat responsable d'un mirador, mais pas toujours ceux postés dans les tours adjacentes. Les passeurs “nous mentent en disant qu'ils se coordonnent” avec les gardes-frontières, qui “nous tirent dessus”, témoigne Maihan, qui a déjà vécu plusieurs tentatives infructueuses, avec jusqu'à 200 compagnons d'infortune. Depuis six mois, au moins 70 personnes sont mortes sous les balles iraniennes, ont affirmé à l'AFP sous le couvert de l'anonymat plusieurs combattants talibans du secteur. Même en cas de succès, l'euphorie est souvent de courte durée.

Car depuis six mois l'Iran, qui accueillait déjà 3,4 millions d'Afghans en 2020, en majorité clandestins, expulse à tour de bras. Selon le gouvernement taliban, plus de 2000 migrants retournent ou sont actuellement expulsés d'Iran vers l'Afghanistan chaque jour. Pas de quoi décourager Sadat Qatal et Waheed Ahmad, serrés avec leur quatre enfants dans une chambre spartiate. Depuis deux mois, la famille se nourrit seulement de pain et de thé, après que Waheed a perdu son emploi dans le bâtiment à Hérat (ouest). Le fruit de la vente de leurs biens a été immédiatement avalé par leur loyer. Sans épargne, ils partent la mort dans l'âme. 

Le couple vient d'arriver à Zarandj et se questionne encore sur quelle route emprunter. Le frère de Waheed a pu franchir le mur en janvier. “Il m'a dit que beaucoup sont morts, et que sur 80 personnes, seulement trois ou quatre ont réussi à passer”, la plupart ayant échoué, frissonne le trentenaire. “Nous sommes inquiets et stressés, souffle Sadat sous son voile noir. Tout cela, c'est à cause de la faim (...) Si nous avions encore le moindre espoir, jamais nous ne quitterions le pays.”

 


AFP 

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