Recourant à des techniques modernes de production et de développement de la plantation des arbres, ce jeune investisseur a fait le pari de mettre sur le marché algérien, dès cette année, les pommes Golden, Granny Smith et Idared, cultivées dans la zone steppique de Bir Bouhouche, dans la wilaya de Souk-Ahras.
L’investisseur qui veut voir son projet aboutir en Algérie doit disposer des richesses de Korah (Qaroun), de la patience de Job (Ayyoub) et de la longévité de Noé (Nouh).” Un tantinet philosophe, c’est ce que recommande Lyès Ould Froukh à tous les promoteurs qui font face à des contraintes et à des lourdeurs administratives. Instruit par sa propre expérience, ce vétérinaire d’Alger, qui a décidé de se lancer dans l’arboriculture, dans la culture du pommier précisément, à Bir Bouhouche, dans la wilaya de Souk-Ahras, conseille à ceux qui veulent réaliser leur rêve de faire preuve de ténacité et d’endurance. “Car, soutient-il, la fortune sourit souvent aux entrepreneurs qui croient vraiment en leurs projets et qui déploient surtout les efforts nécessaires pour les mener à terme.” Convaincu de ce concept dont il fait un credo, ce quinquagénaire affiche une détermination à toute épreuve pour faire pousser des pommiers de premier choix dans la mechta steppique de Ras El-Ghedrane, une localité implantée au beau milieu de nulle part, à 800 m d’altitude.
“J’ai acheté cette parcelle de terrain - une superficie de 9 ha de terre en friche et a priori inculte - qu’il a fallu, avant toute chose, mettre en valeur pour la rendre exploitable. Pour vous donner une idée de la difficulté de cette opération, qui a pris des années, je me dois de vous indiquer que j’ai dû utiliser à mes frais exclusifs plus de 300 camions de 20 tonnes pour évacuer les 3 500 m3 d’alluvions et de roche calcique qui jonchaient cet espace”, souligne notre interlocuteur. “On aurait pu construire un bon tronçon de route avec la pierraille que nous avons extraite du sol”, glisse Lyès Ould Froukh, avant d’égrener toutes les étapes qu’il a dû traverser, souvent dans la douleur, pour transformer en oasis verdoyante ce lopin de terre, aussi aride qu’hostile, qu’il a acquis. “Se sont alors posés à nous les problèmes du travail de la terre, à proprement parler, et de l’irrigation, sachant que le terrain dont nous disposons était particulièrement encroûté et situé dans une zone peu riche en ressources hydriques. Une véritable galère, quand on sait les entraves bureaucratiques qui peuvent surgir à Souk-Ahras, où l’administration de l’hydraulique, pour ne citer que cette direction, est particulièrement insensible aux appels de détresse des investisseurs”, dit-il, désabusé. Et de rappeler ses déboires avec l’Agence nationale des ressources hydriques (ANRH), qui l’a autorisé à procéder au forage d’un puits d’une profondeur de 100 m dans un endroit que les techniciens savaient, en connaissance de cause, relativement éloigné de la nappe phréatique.
“Le débit du forage n’a pas dépassé, au final, un litre par seconde, alors que pour le site à irriguer il en faut au moins 3. C’est ce qui nous a obligés à opter, en dernier recours, à l’installation d’un bassin en géomembrane de polypropylène de 6 000 m3, qui permet une autonomie en eau de deux mois et demi et dans lequel des milliers d’alevins ont été ensemencés, afin d’utiliser les eaux fortifiées par les nutriments et les rejets des poissons pour l’irrigation des arbres”, explique-t-il, en vantant les mérites de cette eau riche en engrais naturels.
Chemin de croix
Lyès Ould Froukh passe rapidement sur les difficultés : il a eu à ramener par camions entiers près de 800 m3 de terre végétale depuis la lointaine commune d’Oum Laadhaïm pour fertiliser ses 9 ha. Il ne s’empêche pas toutefois de signaler, sur un ton de reproche, que les services de l’agence des barrages auraient pu lui faciliter les choses en l’autorisant à prélever des quantités de terre arable livrées à l’abandon à proximité du plan d’eau de l’oued Charef, situé à un jet de pierre de son exploitation.
“J’avais pourtant saisi officiellement cette agence pour qu’on m’autorise à disposer de ces déblais de chantier, croyant naïvement que je faisais œuvre utile en dégageant, à mes frais et à l’avantage de l’État, une partie des masses de vase entassées, mais, hélas, sans suite”, regrette notre interlocuteur, avant d’évoquer les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les premières plantations d’arbres. “J’ai fait une première expérience en mars 2019, qui s’est avérée malheureusement décevante, avec 7 000 cerisiers d’importation, que je n’ai même pas pu mettre en terre, parce qu’à l’époque, je n’avais pas encore obtenu l’autorisation de forage et j’ai dû me résoudre à emmagasiner ces milliers de plants en chambre froide à Guelma, dans l’espoir de les préserver. Peine perdue, puisque tout ce stock a dépéri”, déplore-t-il amèrement. “C’est alors que l’on m’a conseillé de me tourner plutôt vers la plantation de pommiers, dont la culture est parfaitement adaptée à la nature calcaire et argileuse du sol et aux températures qui prévalent dans la région de Bir Bouhouche, localité située à 800 m d’altitude.”
Séduit par cette alternative, notre promoteur s’engage courageusement, dès le début de l’année 2020, dans ce créneau, qu’il avoue ne pas connaître du tout, mais qui connaît une évolution rapide, stimulé par un marché porteur, une gamme variétale qui tend à se diversifier et une profession dynamique. Le chantier, consistant en le traçage de sillons de 1,20 m de profondeur et de sous-solage, une opération lancée tambour battant sous l’œil avisé des techniciens, dont s’est entouré Lyès Ould Froukh, a démarré. Et les 8 000 plants de pommiers Golden, Granny Smith et Idared, que ce dernier a importés d’Italie, ont été mis en terre en mai de cette même année 2020. “Tout se présentait bien, jusqu’à ce que Dame Nature s’en mêle. Dans la foulée, j’avais en effet oublié que ce type d’arbres a très peu de racines et que la région pouvait être exposée à des vents violents et à bien d’autres aléas climatiques, comme la grêle. Au moment où mes plants ont commencé à avoir des feuilles et de petits fruits, une bourrasque a anéanti tous nos efforts”, se plaint notre promoteur.
Loin de se décourager et convaincu, au contraire, que son projet avait toutes les chances d’aboutir, il décide de redresser tous les arbrisseaux et d’installer un palissage, structure qui, de l’avis de tous ses proches, devrait protéger durablement son verger. Cette fois encore, il a dû recourir aux services agricoles pour une éventuelle assistance, tout en mettant la main à la poche pour acquérir les 1 187 piquets métalliques et ériger les 1 420 poteaux d’ancrage en béton armé constituant cette serre gigantesque qui donnera un tout autre aspect à son exploitation. Lorsqu’on lui demande d’estimer les dépenses qui lui ont été occasionnées, Lyès Ould Froukh note que la géomembrane lui a coûté 220 millions de centimes, auxquels il faut ajouter 125 millions pour le forage du puits et 270 autres pour l’acquisition et l’installation du réseau d’irrigation au goutte à goutte.
Discret, il évite d’évoquer ce qu’il a dû payer pour acheter la fameuse structure de palissage et ce qu’il devra débourser pour installer un filet paragrêle. Un équipement qui a l’avantage de limiter le stress des plantes et l’évapotranspiration, utilisé également pour la protection des serres, et pour lequel, il a sollicité une aide financière de l’État. Philosophe, ce pionnier de l’arboriculture dans une région essentiellement vouée à la céréaliculture estime qu’il faut faire ce qu’il faut et s’en remettre à Dieu...
Réalisé par : A. Allia