Fait inédit qui rappelle la période du parti unique : à El-Main, commune au nord du chef-lieu de la wilaya de Bordj Bou-Arréridj, une seule liste postule pour les locales du 27 novembre 2021. Il n'y aura donc ni suspense ni concurrence. La liste est déjà gagnante avant même le scrutin.
En cette fin de campagne, les ruelles de cette commune et celles des bourgades environnantes sont comme à l’accoutumée : les gens vaquent à leurs occupations. Dans un décor morose, rien n’indique qu’un rendez-vous électoral est prévu dans quelques jours. Les espaces aménagés pour les affiches demeurent affreusement vides alors que celles de l’Anie exhortant la population ne trônent que dans les locaux de l’administration. L’essentiel de la campagne a été menée sur la planète bleue. Il faut dire que dans cette commune, très investie dans le Hirak, une seule liste des indépendants est entrée en compétition.
“Dans une démocratie, on devrait avoir le choix. J'ai l'impression que mon vote ne sert à rien”, affirme amèrement Hamza, un jeune habitant de la commune et activiste du mouvement associatif local, comme pour suggérer que les gagnants sont déjà connus. “L'absence d'adversaire offre parfois des situations étonnantes et absurdes. Ce n'est pas bon signe pour la démocratie”, philosophe-t-il. Comme les trois autres communes de la daïra de Djaâfra, El-Main a boudé massivement les précédents scrutins. On est loin de la dizaine de listes comptabilisées lors des élections locales de 2017.
Il n'y aura donc ni concurrence ni changement d’autant que la liste est conduite par des habitués, connaisseurs du pouvoir local. “Le maire, ses adjoints et son assemblée sont connus avant même d’aller voter !”, ironise un jeune diplômé en droit. Sur les 11 membres qui composera le conseil municipal, point de place désormais pour l’opposition aux décisions appelées à être prises. “Cela peut avoir des avantages comme des inconvénients car l'équipe devra rester soudée sans avoir à souffrir de l’opposition”, analyse-t-il, disant toutefois que “ce n'est pas un bon signe pour la démocratie”. Cette absence de pluralité de listes confine certains électeurs à s’interroger sur l’utilité du vote.
Malika, une employée, s'interroge. “Je n'avais pas l'intention d'aller voter mais là, c'est sûr que je n'irai pas. Si nous n'avons pas le choix, pourquoi y aller ?” “C'est sûr que l'enjeu électoral est moins fort ici. Ça me choque qu'on ait qu'une seule liste à El-Main mais en même temps, c'est un peu notre faute. Nous aurions dû nous intéresser davantage aux municipales et trancher pour avoir de nombreuses listes ou aucune. Et ne pas offrir sur un plateau d’argent l’opportunité à ceux qui ne vont représenter qu’eux-mêmes”, renchérit Tassaâdit, sa voisine et amie.
Défiance vis-à-vis du pouvoir et de “ses” élections
Défavorisée, avec un réseau routier difficilement praticable par endroits, où les infrastructures font défaut et où la jeunesse manque presque de tout, El-Main est gagnée depuis longtemps à la politique, encore plus depuis le jaillissement du Hirak. C’est donc naturellement que sa jeunesse aspire à un changement. “C'est un fait de société. La région trop politisée, râle, exige, critique tout. Mais refuse de s'engager”, analyse un ancien élu de la région comme pour expliquer l’existence d’une seule liste.
Certains étaient prêts à se présenter, mais redoutaient visiblement de s’exposer aux critiques. “Personne ne veut porter le chapeau, recevoir les coups. Ils préfèrent rester à l'abri derrière ceux qui vont sortir”, poursuit-il. Gagnée par une certaine effervescence, depuis février 2019, la jeunesse qui compose l’essentiel des habitants d’El-Main déverse ses rêves, sa vision de la gouvernance et ses ambitions sur la Toile. Loin des cadres partisans et dans la défiance du pouvoir et de ce qu’ils considèrent comme “ses élections”. “La démocratie ne se limite pas qu'au vote. Pour nous, la politique et la démocratie sont au cœur de nos préoccupations. C’est pourquoi, aux prochaines élections, nous n'irons pas voter. Nous allons boycotter comme lors des précédentes élections”, disent à l’unisson certains jeunes.
Vers l’abstention ?
De là à dire qu’El-Main risque de tourner de nouveau le dos au scrutin, il n’y a qu’un pas. Surtout que tous les scrutins passés n’ont apporté aucun changement, ni n’ont impacté leur vécu de tous les jours. “Dans notre système institutionnel, les assemblées, quelles qu'elles soient, sont de simples chambres d'enregistrement. Les membres des exécutifs ne s'inscrivant que dans une logique carriériste et clientéliste.
L’objectif des candidats est de conquérir et de conserver le pouvoir, pas de l'exercer”, soutient un jeune pour qui participer signifie porter “atteinte à la volonté des habitants qui ont exprimé à trois reprises leur refus des élections et de la politique du fait accompli”. “Ces élections ne changeront rien. Ni dans la société ni à la situation des habitants”, martèle-t-il d’autant, précise-t-il, qu’“avec le retour de certaines têtes, le changement n’est pas pour aujourd’hui”. Autres facteurs susceptibles de dissuader les électeurs : certains candidats ne sont pas proches de la population, tandis que d’autres n’ont jamais connu les épreuves du dur labeur.
“Élire des prétendus représentants qui, pour la plupart, n’ont jamais travaillé dans une entreprise, qui ont des statuts sociaux et financiers privilégiés et qui n’ont d’autre souci que de faire carrière en jouant des rôles convenus, cela ne me concerne plus”, assure Malek, un habitant du village de Lamttar. Un avis que partage Akli, 58 ans. “L’élection est désormais réduite au choix de personnes issues d’une catégorie d’opportunistes et que l’on demande au peuple de valider.”
Enseignante, Safia assure qu’elle n’ira aux urnes que le jour où elle constatera qu’une personnalité politique dispose d’un programme cohérent qui sera appliqué une fois élu. “Et il est tout aussi absurde de s'enthousiasmer pour les hommes nouveaux. On peut changer les hommes autant que l'on voudra, tant que l'on n'aura pas réformé les structures de sélection des gouvernants, rien de nouveau ne pourra se faire”, dit-elle.
“Le vote permet-il réellement à l'électeur d'avoir la moindre prise sur les politiques menées ? Non. L’électeur n'est même pas associé à l'élaboration des programmes. Ce qui, d'ailleurs, n'a rien de choquant ! Pourquoi, dès lors, voter ?” se demande-t-elle.
L’autre son de cloche
Au milieu de ces interrogations, certains pourtant trouvent que l’abstention n’est pas la meilleure formule pour faire évoluer les choses. C’est pourquoi, en dépit des insuffisances et de toutes les critiques, le changement passe aussi par le grappillage des espaces de pouvoir là où il est possible de le faire.
“Clamer que les élus sont tous pourris est aussi faux que d'affirmer que voter ne sert à rien. En témoigne la dernière élection. Si tous les citoyens de cette région nord de la wilaya étaient allés voter, a calculé Mokhtar, 1 ou 2 sièges sur les 7 que compte la wilaya auraient basculé en leur faveur. On n’aurait pas privé toute une région de représentativité et laissé les sièges remportés par d’autres.” “Hélas, en évitant de voter, les habitants de la région renforcent les idées reçues qu'ils sont censés combattre : l’individualisme et le cynisme. Ils laissent aux autres la possibilité de leur imposer les sujets à l'ordre du jour. Ils donnent au pouvoir les bonnes raisons de les ignorer”, regrette Mokhtar, convaincu que la démission est une solution facile.
“Vrai, les habitants peuvent avoir l'impression que le gouvernement n'a pas entendu leur appel au cours de la dernière année. Vrai, aussi, que le débat sur les vrais sujets de société n'a pas pris beaucoup de place. Mais pour que cela change, pour que leurs préoccupations mobilisent autant que celles des autres régions qui votent en masse, les citoyens de ces localités auraient tout intérêt à se faire nombreux aux urnes la prochaine fois”, ajoute-t-il. “Si tu ne t’occupes pas de la politique, la politique s’occupera de toi”, dit-il, un tantinet philosophe, avant de rappeler que “la nature a horreur du vide”.
Réalisé par : CHABANE BOUARISSA