Connu mondialement pour avoir abrité l’une des plus célèbres universités de l’antiquité avec celle de Carthage, le site antique de Madaure, dans la commune de M’daourouche (wilaya de Souk-Ahras), n’a livré qu’une infime partie de ses richesses.
La présence de moutons et de chiens au milieu des ruines, à l’intérieur du site pourtant solidement clôturé, confère au lieu une image d’abandon, de terrain vague. Cela alors que d’aucuns dans la wilaya de Souk-Ahras et notamment à M’daourouche, ville située à un jet de pierre de là, font part de leur immense fierté d’avoir hérité d’un tel trésor culturel. Un legs que les habitants de cette région associent aux illustres personnages, grammairiens, rhétoriciens, philosophes, et tout particulièrement à Apulée et saint Augustin, qui ont vécu dans les murs de la ville deux fois millénaire et en ont fait la gloire. Il s’agit pour tous ceux que nous avons rencontrés d’un acquis, d’un fragment du patrimoine culturel immatériel national, certes, mais qui n’a aucune incidence sur la vie du citoyen.
Le jeune homme à qui nous avons demandé notre chemin et qui a eu la gentillesse de nous accompagner jusqu’au site, fait partie de cette catégorie de personnes. Au cours de la discussion que nous avons eue avec lui, après les présentations d’usage, ce grand gaillard aux yeux bleus et au teint hâlé n’a pas fait la moindre allusion à l’antique Madaure. À la question de savoir ce qu’il pourrait dire à propos de cet immense site et des avantages à en tirer pour le développement de la région, il a donné une réponse déconcertante. “Que veux-tu que je te dise ? Rien. Ces pierres ont toujours été là pour moi comme pour ma famille d’ailleurs. Je ne pense pas que leur mise en valeur pourrait améliorer, d’une quelconque façon, notre misérable quotidien. La vie est dure ici, nous avons besoin de bien d’autres choses pour subvenir aux besoins de nos familles”, nous lance-t-il, l’air grave.
Réda Boutemedjet, c’est son nom, n’est toutefois pas opposé à la valorisation de la cité antique, ne serait-ce que pour enrichir le patrimoine archéologique national, mais encore faut-il disposer de moyens humains et matériels qui conviennent pour le préserver et le rentabiliser, en perpétuant les pratiques anciennes, objecte-t-il. Il rappelle, pour étayer son propos, que la culture de l’olive, par exemple, était, avec la céréaliculture, l’une des principales ressources de la région à l’époque où Madaure rayonnait, alors qu’il n’y avait aucune oliveraie digne de ce nom sur ces mêmes terres.
Une argumentation qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui méritait d’être rapportée. “Quand vous aurez fait un tour dans la partie du site mise en valeur, vous comprendrez à quoi je fais allusion. Très peu de personnes accordent de l’importance aux vestiges du passé, autant ici à M’daourouche que partout ailleurs dans notre beau pays. Ainsi, hormis les vrais passionnés d’archéologie et ces groupes d’élèves de lycées qui fréquentent ces lieux dans le cadre d’une visite guidée ou d’une excursion, il n’y a strictement personne.” Cet avis, quelque peu décourageant, est partagé par un élu local qui a requis l’anonymat, mais pour une toute autre raison.
“Je reconnais que le site archéologique est véritablement délaissé par la mairie de M’daourouche. À part le désherbage qui se fait une fois par an, surtout à la veille des rares visites officielles, aucun travail de consolidation ou d’entretien n’a été entrepris. Les restaurations anciennes abusives ont quelquefois été néfastes et nous ne pouvons pas réparer le tort qui a été causé à bon nombre de monuments. Mais ces problèmes n’intéressent personne, c’est pour cela que, personnellement, je ne m’occupe plus de ce dossier”, confie-t-il, comme pour s’excuser de la situation qui prévaut dans l’un des fleurons de l'architecture romaine en Afrique du Nord. Un site qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.
Madaure est antérieure à l’époque romaine. La mise au jour totalement fortuite de vestiges numides d’une grande valeur lors des fouilles, qui ont été entreprises par le Pr Brahim Bourahli, à l’ouest du site de Madaure, durant l’été 2018, a remis en question bien des convictions selon cet éminent chercheur. Pour Brahim Bourahli, c’est la preuve indiscutable que la ville de Madaure date de bien plus loin dans le temps et que les vétérans Romains de l’époque flavienne ont fondé leur cité sur les fondations de l’ancienne en l’an 75 de notre ère… “Partout autour du forum, surtout derrière le temple et la curie, nous avons trouvé des traces de la ville numide.
La découverte d’objets et d’éléments en céramique campanienne ou céramique en vernis noir, procédé en usage à cette période de l’humanité, permet d’affirmer sans risque d’erreur que ce site était habité par des tribus nomades, au 3e siècle avant J.-C.”, soutient le chercheur. Et d’ajouter que dans ses écrits, Apulée de Madaure, qui se disait mi-Gétule, mi-Numide, lui-même, arguait que cette ville aux colonnes branlantes et aux murs disjoints, telle qu’on la voit aujourd’hui, a appartenu à Syphax, puis à Massinissa. “Ces découvertes nous obligent à revenir sur l’idée reçue selon laquelle les colonies des vétérans de l’armée romaine ont été bâties ex nihilo, c’est-à-dire sur des terrains vierges.”
D’où l’intérêt qu’il faut accorder à ces recherches qui devraient concerner, non seulement la partie où se trouvent le théâtre romain, le forum et les thermes, comme cela a été le cas, au début du siècle dernier, mais aussi la superficie du site tout entier, qui est de 109 hectares et totalement en friche. Aussi modestes soient-elles, les fouilles effectuées durant les dix dernières années ont permis de déterrer les fondations et les soubassements de la ville situés autour du forum, en plus d’autres pièces archéologiques, dont certaines d’une valeur inestimable.
Le professeur Bourahli n’est pas peu fier à ce propos, lorsqu’il annonce la mise au jour, il y a peu, d’un 30e bas-relief de 80 cm de haut sur 40 de large représentant Mercure plus âgé et revêtu d’une toge, alors que les 29 autres rendaient l’image de ce dieu du commerce, présent dans les villas des riches Romains sous des traits plus jeunes et athlétiques. Cet éminent chercheur assure qu’il s’agit d’une pièce unique au monde, finement sculptée selon lui et qui a fortement ému des archéologues italiens, qui ont pu en voir les premières images, avant que son équipe et lui n’aient mis cette relique à l’abri.
Cela en faisant noter qu’à ce jour, au niveau du site, les archéologues ont découvert un mausolée romain avec chambre funéraire au rez-de-chaussée et loge de statue à l'étage, un théâtre dégagé en 1919 et 1922, un des plus petits d'Afrique romaine, mesurant 33 m sur 20 m avec à peine huit rangées de sièges, des thermes, une basilique chrétienne de l'époque byzantine à trois nefs séparées par une double colonnade, deux villas et des huileries.
Le site archéologique n’est toujours pas classé
“Il reste beaucoup à faire encore, car nous n’en sommes qu’à une partie infime de la ville antique de Madaure, qui s’étendait sur plus d’une centaine d’hectares, selon des estimations appuyées par la présence d’Apogées vierges à l’ouest du site, sur le plateau d’Aïn Bousbâa du côté des terres de la famille Belhouchet. Un territoire, qui n’est pas clôturé et donc pas protégé, où l’on a constaté malheureusement des chantiers de construction. Les travaux n’ont pu être arrêtés, malgré les plaintes que nous avons déposées auprès des services de gendarmerie.
C’est d’autant plus dommageable que sur la partie en question, il y a un temple dédié à Cérès avec de magnifiques colonnades figurant des jeunes filles portant des corbeilles d’offrandes et notamment un dolmen”, déplore notre interlocuteur. À notre grand étonnement nous avons appris auprès de ce dernier que le site, tant évoqué depuis plus d’un siècle maintenant, n’est toujours pas classé. Brahim Bourahli indique que le dossier à l’appui de la demande de reconnaissance est en possession de Mme Nora Bouhadoum, une responsable de la direction de la culture de Tizi Ouzou.
Côté réglementation, il y a lieu de signaler que des arrêtés relatifs aux sites archéologiques sont prévus pour préciser les mesures à prendre en cas de détérioration des vestiges à cause du vandalisme, de vols et de la fréquentation incontrôlée qui provoque une accumulation de déchets, l’urbanisation à la lisière du bien, le manque de capacités pour la conservation du site, techniques de restauration inappropriées et mauvaises conditions de conservation des vestiges archéologiques.
De même qu’il est attendu l’intégration du site de Madaure dans le Plan de protection et de mise en valeur des sites archéologiques (PPMVSA) dont les modalités d’établissement sont prévues par le décret exécutif fixant les servitudes d’utilisation du sol, ainsi que les obligations à la charge des occupants du site archéologique et de sa zone de protection. Plus de 450 sites et monuments historiques ont été classés, depuis 1999 en Algérie, sur la liste des biens culturels protégés par la loi. À quand le tour de Madaure ?
Réalisé par : A. ALLIA