Venus des quatre coins du pays, des milliers d’Algériens se sont retrouvés hier dans la ville historique pour brandir de nouveau l’étendard du changement. Cette mobilisation annonce-t-elle le retour du Hirak ? Tous les regards sont tournés vers le 22 février prochain.
La ville martyr a été comme prise d’assaut par des milliers de citoyens venus d’un peu partout. Pour ne pas manquer ce rendez-vous, les premiers manifestants étaient déjà arrivés la veille. Pour le peuple du hirak, il fallait célébrer avec force le deuxième anniversaire de l’insurrection citoyenne dont l’acte de naissance a été signé dans cette ville coincée entre deux immenses montagnes.
Deux ans après l’irruption citoyenne qui a chassé Bouteflika du pouvoir, Kherrata réussit le pari de relancer le mouvement populaire et donner aisni unsecond souffle à la révolution démocratique. En témoigne cette grandemobilisation citoyenne qui a caractérisé la marche pacifique organisée, hier, dans les rues de la ville du 8 Mai 1945.
Une démonstration de rue qui se veut d’envergure nationale et dont l’objectif a été de loin atteint. Il s’agissait de rassembler un maximum d’Algériens autour de cet espoir démocratique qu’a suscité la révolution populaire pacifique née en février 2019.
Un espoir toujours vivace compte tenu du nombre impressionnant de citoyennes et de citoyens venus des quatre coins du pays pour prendre part à cette manifestation hautement symbolique.
Hier, les différents numéros d’immatriculation des innombrables véhicules stationnés dans les ruelles et quartiers du chef-lieu de daïra de Kherrata, donnaient déjà un premier aperçu, dès la matinée, sur l’ampleur attendue de la mobilisation citoyenne en cette journée spéciale. Vers 10h, l’artère principale de la ville, allant de l’entrée Ouest jusqu’à la place du 16-Février, grouillait de monde.
Des milliers de manifestants commençaient à affluer vers le centre-ville en agitant des drapeaux national et amazigh et en brandissant des pancartes portant des slogans du Hirak ou encore des portraits de détenus politiques ou des chefs historiques de la glorieuse Révolution (1954-1962), tels que Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Hocine Aït Ahmed, Lakhdar Bouregâa…
Devant la symbolique placette du 16-Février jouxtant le marché hebdomadaire de Kherrata, une foule compacte reprenait en boucle certains chants populaires et autres slogans habituels du Hirak. Il était quasiment impossible de se frayer un chemin au niveau de cette place publique connue pour être le point de départ habituel de toutes les marches organisées par le Hirak dans cette ville historique, située à 60 kilomètres de la capitale des Hammadites.
Vers 11h, les premiers carrés de la marche se sont ébranlés pour emprunter le pont enjambant l’oued Aguerioune et reliant le centre-ville à la nouvelle rocade de la route nationale numéro 9. Tout au long du parcours, la longue procession humaine scandait à tue-tête des chants et des slogans mettant en avant les revendications phare de la révolution populaire du 22 Février 2019.
“Istiqlal” (Indépendance) et “Tilelli” (Liberté), sont les mots clés qui revenaient tel un leitmotiv dans la bouche des manifestants, visiblement avides de retrouver l’ambiance de la liberté dont ils étaient privés pendant toute la période de confinement sanitaire.
“Echaâb yourid isqat enidam” (Le peuple veut la chute du régime), “Goulna el-îssaba trouh” (Nous avons dit que la bande mafieuse doit partir), “Libérez la justice”, “Libérez l’Algérie”, “H’na ouled Amirouche, marche arrière ma n’welouch” (Nous sommes les descendants du colonel Amirouche, nous ne ferons jamais marche arrière), “Dawla madania, machi askaria” (pour un État civil et non militaire), “Sem3ou, sem3ou ya ennas, Abane khela w’saya, dawla madania machi askaria” (Écoutez, Abane nous a laissé un testament : la primauté du civil sur le militaire), “Djazaïr houra démocratia” (Pour une Algérie libre et démocratique), “Mazalagh d-iImazighen” (Nous demeurons des Amazighs), “Ulac smah ulac” (Pas de pardon), “Système dégage”, “Irhalou ya el khawana” (Dégagez, traîtres !) sont autant de slogans clamés par les manifestants qui arboraient des banderoles et autres affiches portant les mêmes mots d’ordre.
Réitérant l’exigence de leur mouvement, les marcheurs ont également réclamé “la libération de l’ensemble des détenus politiques et d’opinion”. “Tilelli i-mahvas n’rai” (Liberté pour les détenus d’opinion), “El havs i-makaran, tilelli i-maghrassen” (La prison pour les voleurs, la liberté pour les militants) ou encore “Libérez les otages”, ont-ils scandé.
Dans cette marée humaine qui a sillonné les ruelles de Kherrata, on a remarqué la présence de certaines figures emblématiques du Hirak, à l’image de Karim Tabbou, Fodil Boumala et Samir Belarbi, des chefs de partis, dont le président du RCD, Mohcine Belabbas, la président de l’UCP, Me Zoubida Assoul, ainsi que des parlementaires, des élus locaux, des personnalités politiques et autres acteurs de la société civile, dont Me Mostefa Bouchachi, Saïd Salhi, vice-président de la Laddh, des activistes du RAJ et des députés du RCD…Plusieurs citoyens manifestants ont profité de cette occasion pour se prendre en photos (selfies) avec ces personnalités politiques.
À l’issue de la marche qui a pris fin vers 13h30, à la place du 16-Février, des citoyens bénévoles et des bienfaiteurs de la région ont offert de la nourriture et des boissons aux manifestants, dont certains sont venus en famille. Un geste qui témoigne du sens de l’hospitalité et de la solidarité qui anime toujours les habitants de cette ville historique.
La date commémorative de la première manifestation anti-régime de Bouteflika aura finalement permis au mouvement populaire en marche de reconquérir l’espace public, après une trêve sanitaire qui aura duré près d’une année. Réussir l’épreuve de la mobilisation citoyenne en cette période post-pandémique, est déjà considéré par les observateurs politiques locaux comme un exploit qui pourrait donner un nouveau souffle à un mouvement populaire en quête d’un déclic.
KAMAL OUHNIA