Le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la Prospective, Mohamed Cherif Belmihoub, dresse, dans cet entretien, un tableau peu reluisant de l’économie algérienne. Une économie peu complétive et très dépendante des hydrocarbures. Il évoque les leviers de croissance qui ont été identifiés pour la relance économique et insiste également sur la nécessité de réunir certains facteurs pour rendre possible cette relance.
Liberté : Vous avez remis, récemment, au Premier ministre, un rapport sur la croissance 2020-2024. Dans le document vous avez dressé un diagnostic de l’économie algérienne. Pourriez-vous nous donner plus de détails ?
Mohamed Cherif Belmihoub : La mise en place d'un plan de relance économique a été une instruction du président de la République. Nous avons organisé, les 18 et 19 août 2020, la conférence nationale sur la relance économique. À cette occasion nous avions mis en place 11 ateliers. Les conclusions des travaux en ateliers ont donné lieu à des recommandations pertinentes. Nous avons essayé, dans une première étape, de donner un contenu à ces recommandations. Pour arriver à ce plan de relance nous avons élaboré un diagnostic. Nous avons fait un état des lieux sur la période 2009 à 2019.
Le constat général est que l’économie nationale est caractérisée par une forte dépendance au secteur des hydrocarbures. Ce secteur a contribué entre 33% (en 2016) et 59% (en 2009) au budget de l’État et entre 93% (en 2019) et 98% (en 2009) aux exportations. Ainsi l’économie algérienne demeure fortement dépendante des hydrocarbures et faiblement diversifiée. En effet, en 2019, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée nationale n’a été que de 6,2%. Le secteur productif est faiblement compétitif. Les entreprises algériennes exportent peu et font difficilement face à la concurrence des importations. Le diagnostic fait ressortir également l’ampleur du secteur informel. Pratiquement, c’est l’informel qui régule l’économie. C’est inquiétant, aussi bien en matière d’emploi que sur le plan de la valeur ajoutée. Cette économie échappe totalement à la fiscalité et à la contribution au financement du système de protection sociale. L’emploi informel reste à un niveau élevé. 50% des travailleurs ne cotisent pas et ne payent pas d’impôts alors qu’ils profitent des services publics.
Au-delà des diagnostics, quelles sont les pistes de réformes proposées pour relancer l’économie sur des bases saines ?
Des objectifs ambitieux ont été fixés par le président de la République, comme la réduction des importations de 10 milliards de dollars en 2020 et la réalisation en 2021 d'au moins 5 milliards de dollars d'exportations hors hydrocarbures. Exporter 5 milliards de dollars hors hydrocarbures est un véritable défi, pour un pays qui n’a jamais exporté plus de deux milliards de dollars. Quant à la réduction des importations, il ne faut pas que cela se fasse par des décisions administratives et elle ne devrait pas toucher l’appareil de production. Malheureusement en 2020, la réduction des importations a été principalement tirée par une baisse importante des importations de biens d’équipement industriels et des biens intermédiaires. C’est inquiétant. La réduction de l’importation de biens d’équipement industriel pourrait peser sur les capacités de production et donc le potentiel de croissance économique futur.
La substitution à l’importation n’a pas joué pleinement pour les inputs industriels. La baisse de l’activité a, peut-être, impacté l’importation de demi-produits. Les objectifs fixés par le président de la République impliquent un certain nombre de réformes. Le plan de relance économique vise à construire un nouveau modèle économique pour une économie plus résiliente et plus inclusive. Ce modèle passe nécessairement par une grande diversification de l’économie en développant en particulier les secteurs stratégiques qui structureront notre économie de demain. La politique d’investissement sera orientée vers les secteurs productifs à fort effet d’entraînement et présentant un potentiel d’exportation. Nous avons identifié de nouveaux leviers de croissance. Il s’agit des mines, de l’industrie pharmaceutique, des énergies renouvelables et de la transition énergétique, de l’agriculture saharienne, du numérique, tout en s’appuyant sur les start-up et les microentreprises. La digitalisation de l’économie a vocation à se diffuser à l’ensemble des secteurs pour améliorer leurs productivités et compétitivités. Ces nouveaux leviers de croissance que nous avons identifiés constitueront la base d’une stratégie de relance économique. Cependant, afin qu’elle puisse réussir, il est nécessaire de réunir certains facteurs de succès tels que l’innovation, l’amélioration du climat des investissements, la réforme du système bancaire et financier, l’amélioration de la gouvernance économique, la modernisation du secteur public marchand, le développement des partenariats public-public pour les infrastructures et services publics ou encore une meilleure intégration au commerce international. Il faut également favoriser les relations inter-entreprises, notamment les entreprises qui fabriquent des produits subventionnés. L’objectif et de réussir la politique de substitution à l’importation.
Quelles sources de financement prévoit le gouvernement pour ce plan de relance ?
Le financement du plan de relance est une question centrale. L’économie algérienne a des contraintes majeures en matière de financement. L’endettement extérieur est exclu par le président de la République pour des raisons de souveraineté nationale. Le financement par la création monétaire n’est pas à l’ordre du jour. L’encours du financement non conventionnel a atteint 6 556,2 milliards de dinars. Ce type de financement n’a pas produit les effets attendus, car quand il a été lancé, on n’a pas mis en place les réformes nécessaires. Aujourd’hui, la Banque d’Algérie continue à intervenir massivement par le financement monétaire aussi bien au profit du Trésor qu’à celui des banques pour assurer une liquidité. Mais le gouvernement pourrait recourir à d’autres modes de financement. Il s’agit, entre autres, de réaliser des opérations de refinancement garantissant les liquidités nécessaires pour financer l’économie et assainir une grande partie de cette liquidité par le Trésor dans le cadre des marchés des valeurs du Trésor. Il s’agit, également, de convertir les créances en bons du Trésor négociable auprès de la Banque centrale. Ce qui est certain, pour mettre en branle la croissance, il faut injecter de l’argent dans les banques pour que celles-ci puissent accorder des crédits. Au niveau des banques, l’analyse de la structure des crédits par secteur juridique montre que, contrairement à ce qui se dit, les crédits accordés au secteur public et au secteur privé sont dans des proportions relativement égales. Il est vrai que le secteur privé comprend aussi les particuliers. Nous avons constaté, par ailleurs, que les crédits à l’investissement sont en baisse et cela est inquiétant.
Contrairement aux assurances du gouvernement, plusieurs économistes pensent que le recours à l’endettement extérieur est inévitable...
À court terne, il est évitable. Je pense qu’on peut éviter l’endettement extérieur. Il devient nécessaire, si nous avons un volume d’investissement en attente de financement. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, on peut satisfaire la demande d’investissement qui se présente au niveau des banques. Heureusement les prix du pétrole commencent à grimper depuis un mois. C’est tant mieux, cela permet de reconstituer les réserves de changes. Qu’il y ait des demandes d’investissement, c’est ça la grande question. L’endettement extérieur pourrait, éventuellement, être levé si vraiment il y a un besoin pour des secteurs bien particuliers et des activités à forte valeur ajoutée ou exportatrice. Le président de la République n’exclut pas totalement le recours au financement extérieur. On peut éventuellement solliciter les institutions comme la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement où nous pouvons obtenir des crédits à des taux très faibles, mais pour des projets structurants et à forte valeur ajoutée. Le partenariat public privé est, aussi, encouragé. Ce mode de financement est particulièrement indiqué pour les grandes infrastructures, particulièrement dans des montages de type BOT (Buildi, Operate, Transfer).
Vous avez récemment annoncé le lancement d’une enquête pour évaluer les impacts de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les entreprises et les ménages. Peut-on en connaître les résultats ?
L’enquête est financée par la CEA, nous avons contribué à l’élaboration du questionnaire et de l’échantillonnage et un bureau d’enquête a été sélectionné. L’enquête sera lancée fin janvier 2021. Pour connaître l’impact de la crise sanitaire sur les ménages et les entreprises, il faut une enquête. Certaines associations patronales et certaines Chambres de commerce ont tenté des expériences au début de l’année 2020, mais peu concluantes en raison des difficultés liées au Covid-19 et des coûts souvent très élevés.
L’ONS a publié en juin une enquête sur la production. Sur le plan social, la crise du Covid-19 a eu de fortes répercussions sur l’emploi dont il est difficile d’avoir, à ce stade, des chiffres précis. L’ONS n’a pas fait d’enquête sur l’emploi depuis 2019. Mais les statistiques de l’Anem font ressortir une forte baisse des offres d’emploi. Je pense que le coût de la crise doit être partagé entre l’État, les entreprises et les ménages.
La préoccupation pour moi est d’éviter aux entreprises le dépôt de bilan. Qu’elles restent en sous-activité, c’est le coût à payer. Il faut agir. Je n’ai pas encore de recette, mais au niveau du gouvernement, c’est une question posée. Les banques pourraient intervenir dans le financement de fonds de roulement. Mais attendre que l’État intervienne par le budget, je crois que ce n’est plus possible dans le contexte actuel des ressources publiques.
Qu’en est-il de la situation du secteur public marchand de l’État ? Le chiffre de 250 milliards de dinars d’assainissement que vous avez annoncé est contesté par certains...
Je maintiens ce que j’ai dit. Les 250 milliards de dollars que j’ai annoncés représentent la somme des assainissements opérés par le Trésor public sur 25 ans. Au-delà des chiffres, les différentes opérations de restructuration du secteur public marchand n’ont pas permis l’émergence de véritables entreprises économiquement viables et financièrement équilibrées. Les grandes entreprises publiques constituent un atout dans la politique d’industrialisation de l’Algérie.
Elles peuvent contribuer au renforcement de la compétitivité, mais demeurent, néanmoins, confrontées à des difficultés financières qui pèsent sur l’économie nationale, en général, et sur la croissance économique, en particulier. Aujourd’hui, il y a lieu de réfléchir sérieusement sur la performance du secteur public marchand en précisant sa relation avec l’État et sa position dans un marché concurrentiel. Il est primordial de redéfinir le rôle de l’État actionnaire, définir ses droits de propriétés et comment les exercer.
L’État, s’il veut soutenir les entreprises publiques, devra intervenir sur le haut du bilan en les dotant en capital. Les subventions doivent être accordées au secteur et non aux entreprises. Ainsi, on respecte la loi sur la concurrence et on stimule l’innovation et la compétitivité, ainsi, le principe de non-discrimination entre secteur public et secteur privé sera concrétisé.
Entretien réalisé par : Meziane Rabhi