Confrontée à une désindustrialisation avancée, l’Algérie peine à élaborer une stratégie industrielle efficiente. L’addiction à la rente pétrolière et l’assujettissement aux injonctions politico-administratives sont les freins structurels qui contrarient toute relance. Les assises de l’industrie initiées par le gouvernement contribueront-elles à rompre avec une gouvernance aussi archaïque que paralysante ?
Le ministère de l'Industrie organise, du 4 au 6 décembre 2021 à Alger, une conférence nationale sur la relance industrielle. Cette rencontre intervient dans un contexte de désindustrialisation de l’économie algérienne au cours des trois dernières décennies. Selon plusieurs experts, l’industrie manufacturière hors hydrocarbures ne représente plus que 5% du produit intérieur brut (PIB) contre 35% à la fin des années 1980. “L’ouverture d’un débat national sérieux sur l’avenir de notre industrie est d’une urgence marquée”, souligne Mouloud Hedir, économiste et expert des politiques commerciales. “Cela fait plus de trente années que le besoin de diversifier notre économie et de l’arracher à l’addiction aux hydrocarbures est affiché comme un objectif central par tous les gouvernements qui se sont succédé. Durant tout ce temps-là, la part de notre production n’a pourtant pas cessé et ne cesse toujours pas de rétrécir dangereusement”, fait remarquer Mouloud Hedir. Il est donc temps, estime-t-il, “de commencer à se poser les bonnes questions et à regarder la diversification de notre économie — et singulièrement de l’industrie hors hydrocarbures — autrement que comme un discours de circonstance”. C’est en tout cas l’espoir que formule, à ce stade, l’économiste faute d’un document de référence qui éclaire sur les orientations concrètes que les autorités voudraient imprimer à cette relance industrielle. “On ne doit pas perdre de vue que l’actualité économique mondiale est de plus en plus focalisée sur les périls du changement climatique et que tous les pays développés ou émergents se sont déjà engagés dans de véritables programmes d’action destinés à mettre fin, progressivement, à la production des énergies fossiles”, signale Mouloud Hedir. “L’enjeu va du reste plus loin que la gestion de notre industrie, il touche à la réforme profonde des structures de notre économie”, estime-t-il.
De ce point de vue, l’économiste exprime son souhait de voir l’administration économique se consacrer davantage à la qualité des services publics qu’elle est tenue de délivrer, qu’elle se préoccupe de la cohérence des missions régulatrices qu’elle exerce si mal aujourd’hui, et qu’enfin elle lâche la bride aux entrepreneurs, aux investisseurs et aux créateurs de richesses. “En quoi nos fonctionnaires seraient-ils compétents pour relancer la machine industrielle et pourquoi devraient-ils être habilités à décider aux lieu et place des industriels eux-mêmes, publics ou privés, et de ceux qui assument effectivement les risques”, s’interroge-t-il. L’autonomie de la sphère économique par rapport aux “injonctions intempestives du politique” est plus que jamais l’enjeu de premier ordre. “C’est cet obstacle premier qui continue de faire le lit de la bureaucratie et qui contrarie les transformations pourtant voulues de longue date dans des domaines aussi importants que ceux touchant au système financier et bancaire, au système fiscal, à la gestion du secteur public, au soutien à l’investissement, à la fiscalité, à la concurrence, à la politique commerciale extérieure, etc.”, relève Mouloud Hedir.
Au-delà, indique l’économiste, l’autre écueil à surmonter est celui du financement de la diversification économique et du développement industriel qu’autorités et citoyens appellent de leurs vœux. “Pour l’heure, le financement des déficits des comptes publics accapare dangereusement les ressources rares existantes”, constate Mouloud Hedir, pour qui “une remise en ordre sévère dans la conduite des affaires budgétaires est le préalable pour dégager cette voie bloquée de la relance industrielle”. Il est temps, conclut-il, “que nos entreprises soient replacées enfin au centre de la politique industrielle nationale, qu’elles puissent reprendre confiance et retrouver rapidement le chemin de la croissance durable”.
Meziane Rabhi