La guerre en Ukraine, synonyme de flambée des prix des matières premières, crée une nouvelle onde de choc dans les pays en développement, déjà affaiblis par la pandémie de coronavirus, faisant craindre à l’ONU d’importants mécontentements sociaux. Dans un nouveau rapport, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), un groupe de réflexion économique des Nations unies, “met en garde” contre les dommages économiques considérables que le conflit cause déjà dans de nombreuses régions du monde en développement. Le rapport de la Cnuced relève que la guerre exerce de nouvelles pressions “à la hausse sur les prix internationaux de l’énergie et des produits de base, grevant les budgets des ménages et augmentant les coûts de production, tandis que les perturbations du commerce et les effets des sanctions risquent d’atténuer les investissements à long terme”.
Bien entendu, cela était prévisible, étant donné le poids de la Russie et de l’Ukraine dans le commerce agricole mondial. Ces deux pays figurant parmi les principaux exportateurs de denrées agro-alimentaires (huile de tournesol, blé, orge, colza et maïs), le marché a, dès le début du conflit, commencé à s’affoler : les prix de ces produits ont grimpé en flèche, mettant en péril la sécurité alimentaire de nombreux pays.
Le conflit ne sera pas sans conséquence sur les “grands acheteurs de blé” que sont l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, et l’Asie du Sud-Est, fait observer Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut français de relations internationales et stratégiques (Iris). L’égypte et ses 110 millions d’habitants sont en tête du classement des acheteurs mondiaux de blé. L’expert ajoute que “sur ces 24 millions de tonnes de consommation annuelle de blé, 14 millions de tonnes proviennent du marché mondial et de l’importation, 60% provenant de Russie et 30% d’Ukraine”. L’égypte se retrouve ainsi “au pied du mur et se doit d’augmenter ses subventions publiques pour acheter la paix sociale et continuer à vendre le pain populaire égyptien à sa population”, note-t-il. Cette crise alimentaire figure parmi les grandes menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité à travers le monde. Elle a déjà engendré un climat de mécontentement dans certains pays. De grandes manifestations ont été ainsi organisées récemment dans le sud de l’Irak et au centre de la Tunisie.
Ce conflit survient dans un contexte déjà marqué par de faibles perspectives de croissance, suite à la crise sanitaire. De nombreux pays en développement ont eu du mal à obtenir une reprise économique dynamique au sortir de la récession liée à la Covid-19 et sont maintenant confrontés à de forts vents contraires dus à la guerre. La crise sanitaire est “responsable d’une aggravation marquée et généralisée de l’insécurité alimentaire, touchant les ménages vulnérables partout dans le monde et ses effets délétères devraient perdurer tout au long de l’année 2022”, ont estimé les experts de la Banque mondiale dans un récent rapport publié sur son site web. Selon ce rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, “entre 720 et 811 millions de personnes ont connu la faim en 2020, soit environ 118 millions de plus qu’en 2019 si l’on prend en compte le milieu de la fourchette de prévision (768 millions)”.
Le document souligne que ces données viennent “confirmer des hausses importantes du nombre de personnes confrontées ou exposées à une insécurité alimentaire aiguë en 2020-2021”, ce qui signifie que leur existence ou leurs moyens d’existence sont en “péril imminent” parce qu’elles ne sont pas en mesure de s’alimenter correctement. Par ailleurs, le Réseau mondial contre les crises alimentaires estime à “161 millions le nombre de personnes connaissant des niveaux critiques d’insécurité alimentaire aiguë en 2021”, ce qui correspond à une “augmentation de près de 4%” par rapport à l’année précédente. S’y ajoutent “227 millions de personnes” dans une situation de “stress”, soit une augmentation de près de 7% par rapport à 2020.
Youcef Salami