Il avait rêvé de funérailles nationales et de son nom gravé dans le marbre sur les frontons de la République et l’histoire du pays. Mais Abdelaziz Bouteflika, décédé hier à l’âge de 84 ans, reclus dans sa résidence médicale à Zéralda dans la solitude, entouré des seuls membres de sa famille, aura eu finalement le destin que l’Histoire réserve souvent aux autocrates et aux hommes malades du pouvoir. Signe d’une fin sans gloire, après avoir été écarté par la mobilisation populaire en 2019 et le lâchage des militaires, Abdelaziz Bouteflika n’aura pas droit à des obsèques comme ses prédécesseurs.
Le système dont il fut un des architectes au lendemain de l’indépendance et qu’il a façonné par certains égards à sa manière peine à assumer son héritage, comme en témoigne le mutisme de nombreuses figures ayant travaillé à ses côtés ou sous son règne, à l’annonce de son décès, et la décision de mettre en berne le drapeau pour trois jours. Quant aux médias qui l’ont porté au pinacle au temps de sa gloire, ils se contentent de relayer le communiqué laconique de la Présidence, mais sans émissions spéciales comme le veut la tradition. Un strict minimum symptomatique de l’embarras d’un système qui a décidé de renier un des siens.
Homme flamboyant, charmeur, éloquent, au passé prestigieux du temps où il était à la tête de la diplomatie dans les années 70, l’homme a fini par être rattrapé, une fois revenu au pouvoir en 1999, par ce qui faisait la personnalité du personnage : un homme obsédé par le pouvoir et qu’il s’est employé à garder au prix d’un “césarisme”, mais qui a fini par précipiter sans doute sa chute. Même si on lui prête quelques succès comme la réconciliation nationale qui a mis fin à la décennie noire, bien que controversée faute de vérité et de justice sur ce qui s’est passé durant cette période, la fin de l’isolement de l’Algérie au début de son règne, quelques avancées pour la culture amazighe ou encore les droits des femmes, on retient à son actif d’avoir raté l’opportunité historique, avec la manne financière dont il a pu jouir, de mettre le pays sur une trajectoire de développement et de conforter les libertés arrachées par les enfants d’Octobre 88.
Dernier héritier de la génération de la guerre, Bouteflika, qui se rêvait en un De Gaulle, a fini avec le constat, aujourd’hui, de la propagation de la corruption à large échelle qu’il a laissée se développer, contribuant à la dislocation du tissu social, portant même un préjudice à la sécurité nationale, le délabrement dans nombre de secteurs et l’explosion des inégalités, par incarner la face hideuse d’un pouvoir en décrépitude. Il part en laissant un pays sur la jante et dont les horizons sont brouillés. Il part surtout en emportant des secrets sur certaines séquences troubles de l’histoire du pays, sans être jugé pour son règne qui s’est révélé chaotique. Pour le pays et pour le système. ■