Chroniques

Ces requins qui empêchent les lions de rugir

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Rabeh SEBAA Publié 26 Mars 2022 à 14:13

De : Rabeh Sebaa
Arcatures sociologiques

“La Méditerranée ? Mille choses à la fois. D’innombrables paysages, une succession de mers et des civilisations entassées les unes sur les autres.” (Fernand Braudel)

Cette ville, jadis radieuse, si accueillante et si rayonnante. Cette ville se réduit en funestes débris. Comme cette place mythique où quelques restes de quelques briques, vaguement rougeâtres, témoignent de l’existence passée d’une aire de jeux où des voix enjouées se déployaient sans retenue.

Du cafouillage en perspective. Du bricolage, du ravaudage, du rafistolage, du radotage et des ratages. Dans une ville qui s’apprête à accueillir une manifestation d’envergure internationale. Une manifestation méditerranéenne. Avec une préparation tout en grincements. En approximations. En hésitations et en gesticulations. Au point de se demander qui a bien pu désigner tout ce personnel dit d’encadrement... Une manifestation où s’exhibent toutes sortes d’opportunistes, funambules, bateleurs et pitres. Mais aussi une myriade de requins, de loups et de renards. 
Dans cette ville qui a pour blason des lions ringards. Lourd symbolisme. Dur à porter. Difficile à prouver. Du côté de la mairie où ils sont faits de bronze. Pour une destinée de marbre. Réduits au rôle d’appariteurs aphones. Scrutant mollement une place sans armes. Une place qui flotte indolemment sur de glauques marécages, un aqueduc mouvant, d’insignifiants rafistolages et de menus replâtrages. Des lions qui regardent, impuissants, les aberrations de l’impréparation d’une manifestation méditerranéenne, portée par une peuplade grouillante, fourmillante et impatiente. Composée d’invisibles illusionnistes qui se nourrissent d’agiotages et de boursicotages. Aux alentours vaseux de gains, de bénéfices, de profits et d’indécents avantages. 
Car ici, les lions éreintés ont des mamelles. Des mamelles qui engraissent. À chaque opportunité. À chaque circonstance accoutrée d’officialité. Rien n’est épargné. Du foncier défoncé aux affaires pullulantes, violant la tiède intimité de la moindre venelle. Transformant le moindre souffle de vie en escarcelle. Et la ville en tiroir-caisse. Une ville où des cubes d’acier, démesurément engrossés, se déversent torrentiellement sur des quais embrumés. Ces conteneurs qui se multiplient avec l’approche de la manifestation sportive et qui contiennent toutes les camelotes du monde. Tous les rebuts et toutes les pacotilles. Amplifiant un peu plus le saccage culturel de la cité. Déjà bien prononcé. La laideur dévoreuse prolifère profusément dans cette mare aux fauves. Une mare où les requins de terre ferme empêchent les lions de rugir. Dans une ville blessée. Une ville assiégée. Immergée sous les déchets. étouffée par les détritus. Une ville où la culture est depuis longtemps en berne. Et où des joyaux d’architecture tombent en ruine. Avant de se transformer en vagues souvenirs. 
Et comme une épaisse incongruité face à un tel désastre, le premier dépositaire de l’officialité dans la ville ne trouve rien de mieux à faire que de demander à tous ses nantis de voler au secours d’un club de football. Un club qui a vu défiler à sa tête une infinité de pantins enrichis. Des guignols qui n’ont fait que l’enfoncer un peu plus dans son naufrage. Et que peut bien signifier cet appel appuyé, cette insistance à sauver un club moribond, en mobilisant tous les moyens ? Au moment où la ville sombre dans une sourde désintégration. Noyée sous des pyramides d’ordures et plongée dans les abysses de l’affliction. Une ville qui a perdu tout son lustre et ne semble pas près de sortir la tête des griffes acérées de la dévastation. De la destruction galopante qui continue de l’engloutir. De l’incompétence dévorante qui continue de l’ensevelir. 
Cette ville, jadis radieuse, si accueillante et si rayonnante. Cette ville se réduit en funestes débris. Comme cette place mythique où quelques restes de quelques briques, vaguement rougeâtres, témoignent de l’existence passée d’une aire de jeux où des voix enjouées se déployaient sans retenue. En face de tous ces immeubles mutilés, amputés, estropiés, affichant sinistrement les plaies, encore béantes, des atteintes outrageusement répétées. Saccagés jusqu’à la moelle, ces immeubles, d’un centre-ville jadis étincelant, affichent leur dépit résigné. Murs lézardés, trottoirs édentés, entrées délabrées, statuettes fracassées, mosaïques arrachées, interrupteurs cassés et ascenseurs réduits en placards à balais. 
Un cortège de furies destructrices contre l’expression de toute forme de beauté. Dans une indifférence générale hébétée. Comme l’ancien centre de la ville, le centre historique, profondément lacérée par les mutilations de l’abandon. Au moment où d’innombrables cubes de béton ceinturent frénétiquement la ville. En prévision de cette manifestation. La déprédation effrénée continue son œuvre gangréneuse dans le silence absolu. Enfonçant la cité, chaque jour un peu plus, dans sa descente en enfer. Une cité que rien ne condamnait à cette funeste destinée. Où l’acharnement mis à démanteler les symboles de citadinité n’a d’égal que l’incivilité agissante qui a durablement élu domicile dans ces espaces décomposés. Balcons emmurés, fenêtres barreaudées, portes blindées, escaliers désarticulés, entrées défigurées, regards détournés et bouches cousues. 
Il ne manquait plus à ce décor infernal que l’invention de la mer bétonnée. C’est fait. Et même très vite fait. Pour compléter le tableau de la laideur, de la disgrâce, de la difformité et pour banaliser l’obscénité, la grossièreté et la vulgarité, sous prétexte d’accueillir des Jeux méditerranéens dans un décor d’épaisse médiocrité. Avec des crevasses, des dos d’âne, des nids-de-poule, des gueules-de-loup, des précipices béants et toutes sortes de monticules embusqués. Faisant face à ces innombrables bétonnades qui continuent à grimper impunément vers le ciel à l’endroit où étaient prévus des crèches, des aires de jeux, des carrefours ou des voies ordinaires pour soulager la circulation. Des projets ont été finalisés et des budgets dégagés pour ces espaces convoités. Mais le réseau des complicités finit toujours par avoir le dernier mot. Le béton de la rapine continue de proliférer. À agresser le regard. À boucher l’horizon. À casser la vie. Et, pour compléter le décor, à arracher les arbres. À s’attaquer au peu de verdure qui perdure. Vaille que vaille. Comme ces deux arbres séculaires qui ont été sciés jusqu’à la moelle par la bêtise tronçonneuse. Traînés le long de la rue par un camion désarticulé. Dans l’indifférence générale. Deux arbres énormes. Deux arbres séculaires. Deus arbres centenaires qui ont toujours vécu dans cette rue. Et la rue, tout le monde s’en fout. À commencer par les irresponsables et élus locaux. Comme le reste de la population d’ailleurs. Car ici, faut être sacrément romantique ou écolo pour aimer les arbres. Cela fait même un peu efféminé. 
Dans une société qui apprend à ses enfants à lancer des coups de pied aux chats, à arracher les yeux des fleurs, à jeter les pierres aux oiseaux qui passent, à éparpiller les ordures ménagères en les prenant pour un ballon et à bomber le torse devant des miroirs déformants. Comme ce miroir qui reflète l’apprêt de ces Jeux méditerranéens. Des jeux qui ont une histoire. Et une philosophie. Il est bon de rappeler que c’est lors des Jeux olympiques de 1948 que la proposition a été faite pour l’organisation d’une manifestation d’un sport pacificateur et fédérateur. C’est ainsi que la première édition des Jeux méditerranéens vit le jour à Alexandrie, en 1951. Mais, plus loin encore, l’esprit de Platon et d’Aristote plane encore sur leurs ancêtres, les premiers Jeux qui ont vu le jour dans la Polis grecque. Des jeux où la dimension culturelle et philosophique a été prégnante. Ce qui est loin d’être le cas pour ces prochains Jeux méditerranéens. Hormis les officialités et les ritualités habituelles. Dans cette ville qui a, pourtant, toutes les possibilités d’assumer pleinement sa méditerranéité. Ou plus précisément de se “reméditerranéiser”, selon la belle formule d’Edgar Morin. Mais, pour se reméditerranéiser, cette ville a d’abord besoin de retrouver ses marques. De réhabiliter ses cultures et ses arts. De recouvrer les chemins exaltants de sa mémoire. De se réconcilier avec les plus belles pages de son histoire. 

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