Les activités commerciales et de transports publics sont quasiment à l’arrêt à la suite des mesures de confinement annoncées par les maires de la région. La psychose qui s’est installée durant plusieurs jours laisse de plus en plus de place à la mobilisation citoyenne pour tenter de juguler l’hécatombe causée par le rebond fulgurant de la Covid.
Il est rare de voir un véhicule passer et encore moins des piétons, dans la ville, habituellement si animée, de Boghni en cette fin de matinée du 24 juillet. La chaleur est, certes, torride, caniculaire, mais elle n’explique pas à elle seule cette désertion. Jeudi dernier, les quatre maires de la daïra de Boghni ont lancé un appel commun à population, afin d’observer certaines mesures préventives et revenir aux gestes barrières édictés au lendemain de l’apparition du virus Covid-19 en mars 2020.
Un appel qui semble avoir été entendu et avoir suscité une pleine adhésion de la population qui a eu à vivre au rythme d’une psychose durant plusieurs semaines en raison de l’hécatombe causée par le rebond fulgurant des cas de contamination qui ont vite saturé les structures sanitaires locales.
Lors de notre virée à Boghni, les habituels embouteillages, qui s’y formaient de l’entrée jusqu’à la sortie vers Mechtras, n’existaient plus. Les arrêts de stationnement réservés aux transporteurs qui grouillaient de monde, il y a encore à peine quelques jours, sont désormais déserts.
La ville est quasiment fantomatique. À l’exception de deux ou trois fourgons qui, apparemment, étaient de permanence, c’est le désert total. “C’est pour ne pas abandonner surtout certains de nos clients qui ont une urgence pour se déplacer. Sinon, je ne serais pas là. Nous sommes devenus comme Wuhan en Chine au début de l’épidémie. Chacun se méfie de l’autre. La population est traumatisée.
Il y a eu beaucoup de morts. Le service des urgences de l’hôpital ne désemplit pas”, nous répond un transporteur de voyageurs par fourgon assurant la ligne vers Ath Mendès.
C’est le même constat sur l’aire de stationnement des fourgons vers Assi Youcef. Hormis quelques voyageurs qui attendaient à l'ombre des arbres devant le siège de l’APC, il n'y avait pas foule comme c'était le cas auparavant. Avant de quitter ce transporteur, nous rencontrons Mohamed Arezki Lounis, maire de Bounouh qui sortait de l’hôpital car un citoyen de sa commune y est décédé des suites de sa contamination par le virus.
“Nous ne cessons d’enregistrer des morts chaque jour. Nous venons de perdre pour la seule journée d’aujourd’hui deux citoyens de notre commune. C’est intenable. L’hôpital est saturé car il y a un manque d’oxygène. Fort heureusement, une citerne vient d’arriver. Mais cela reste insuffisant”, déplore M. Lounis.
Justement, au sujet des mesures prises par les maires de la daïra, il rassure qu’elles ont été suivies à Bounouh. “J’ai fait une tournée au chef-lieu communal et j’ai constaté que les cafetiers et les restaurateurs ont accepté nos décisions car ils estiment que la santé des citoyens passe avant toute autre chose.”
En revanche, il a regretté que de jeunes insouciants continuent à se regrouper sans respecter les gestes barrières. Le quartier dit La gare, généralement très animé, était vide. Pratiquement tous les commerces ont baissé rideau à l'exception de certaines boucheries, boulangeries... “Certes, c’est une autre contrainte d’assurer seulement le service à emporter, mais la situation l’exige.
Chacun de nous va consentir quelques sacrifices pour éviter la catastrophe, la situation dans notre région étant déjà alarmante. Je suis pour un confinement total au moins pour vingt et un jours. Comment ne pas obtempérer à ces mesures préventives ?”, s’interroge un cafetier qui avait rangé ses chaises et ses tables.
D'ailleurs, il n’y avait aucun client devant son café. Dans les rues, les rares passants montraient un visage triste en traversant furtivement la ville. Même devant l’agence postale, il n’y avait pas de file d’attente. Au marché des fruits et légumes, c’est la désolation. Les étals étaient vides et il n’y avait pas de clients.
Les maires en première ligne
“Juste après la fête de l'Aïd, nous n’avons pas pu nous approvisionner à cause de la situation alarmante que vit toute la région. C’est la peur partout. Les fournisseurs ont du mal à se déplacer vers les marchés de gros. Nous n’écoulons que certains fruits et légumes invendus durant les deux jours de l’Aïd”, confie un marchand de fruits et légumes. Un peu plus loin, nous abordons un restaurateur.
“Il est vrai que la situation est dramatique. Déjà, l’activité a baissé de plus de 60% par rapport aux années précédentes. Avec ces nouvelles mesures, il vaudrait mieux fermer totalement le restaurant car on ne pourra pas toujours travailler à perte. Nous serons dans l’obligation de renvoyer nos serveurs puisque c’est seulement un service à emporter qui nous est recommandé”, regrette-t-il, demandant à tous les organismes concernés de leur trouver un moyen de compensation, car il garde en souvenir les deux premiers confinements, lorsqu'il avait fermé son restaurant.
Nos interlocuteurs sont nombreux à juger que ces mesures sont contraignantes, mais qu’elles sont aussi indispensables et nécessaires, afin de stopper la propagation de ce satané virus qui fauche des vies au quotidien. Le constat est le même aussi bien à Assi Youcef qu’à Mechtras.
“Les mesures que nous avons prises ont été acceptées par les commerçants concernés, mais aussi par les autres. Certains d’entre eux non concernés par les mesures ont volontairement installé des tables devant leurs magasins, pour éviter aux clients de rentrer. Des groupes de jeunes ont mené hier une opération de désinfection de tout le chef-lieu communal et ont appelé la population à ne pas sortir et à respecter les gestes barrières.
Tout le monde se sent concerné car nous avons enregistré trop de décès depuis l’arrivée de cette troisième vague. En deux jours (jeudi et vendredi), nous avons enterré sept personnes ravies à leurs familles par ce maudit virus dont une enseignante au lycée âgée d’une cinquantaine d’années. La situation est dramatique”, souligne Ahmed Cheballah, maire d’Assi Youcef.
À noter qu’à Mechtras, ce sont les citoyens qui ont appelé dès les premières heures de la matinée tous les commerçants à suivre les mesures nécessaires. Selon des sources concordantes, dans ce chef-lieu communal, c’est presque le confinement total qui a été observé par la population. Tous les maires de la daïra de Boghni estiment qu’ils ont agi pour sauver des vies humaines, mais ils attendent des gestes significatifs des hautes autorités du pays pour prendre d’autres mesures urgentes qu’eux ne sont pas habilités à dicter à leurs concitoyens.
À signaler que depuis le 1er juillet, la daïra de Boghni a enregistré des dizaines de morts répartis à travers les quatre communes avec le plus grand nombre de décès à Boghni, suivie de Mechtras, puis d’Assi Youcef et enfin de Bounouh. Il y a tout de même lieu de noter une bonne nouvelle, à savoir l’engouement pour la vaccination contre la Covid-19 à l’EPSP, lequel livre quotidiennement des centaines de doses à travers les polycliniques des huit communes qui relèvent de sa compétence territoriale allant de Boghni à Tizi Gheniff, en passant par Draâ El-Mizan. La vigilance est plus que jamais de mise, ne cesse-t-on de répéter à la population.
Par : O. Ghilès