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“LIBERTÉ”, chronique d’une mort annoncée

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Ali BOUKHLEF Publié 14 Avril 2022 à 12:00

En rejoignant sa rédaction en juin 2018, je n’avais jamais imaginé que j’assisterai, quatre ans plus tard, à sa disparition. J’ai quitté la rédaction d’un grand quotidien, El Watan, pour rejoindre une autre, celle de Liberté, dans le but de participer à donner un nouvel élan et contribuer, modestement, à renforcer son offre éditoriale. Aujourd’hui, en écrivant ces lignes en guise de requiem pour le clap de fin du journal, se mêlent dans ma tête des souvenirs qui resteront indélébiles pour le restant de ma vie et un sentiment ambivalent, partagé entre la fierté d’avoir participé, même durant une courte période, à faire partie de cette prestigieuse publication, et celui de la tristesse due à la perte d’un titre emblématique de la presse algérienne.
Avant de me décider, au printemps 2018, à rejoindre la rédaction de Liberté, je connaissais déjà la majorité des journalistes qui y travaillaient. Certains étaient déjà des amis de longue date. Avec d’autres, la relation était plus professionnelle qu’autre chose. Par calculs malsains ou naïvement, certains de ceux avec qui je n’avais pas de relation particulière avaient tenté de me dissuader de venir par l’intermédiaire d’amis communs. Sans trop réfléchir, je n’ai pas tenu compte de ces avertissements. J’ai donc préféré m’en tenir à l’essentiel : Saïd Chekri, qui venait d’être désigné directeur de la publication, et Rabah Abdellah, mon ami de longue date, devenu directeur de la rédaction, m’ont donc proposé de rejoindre l’équipe de Liberté pour “renforcer la rédaction”. Après 4 ans et demi et malgré un dévouement sincère, je m’étais donc résolu, douloureusement, à me séparer d’El Watan, l’autre journal que je porte toujours dans mon cœur.
Mon aventure avec Liberté commence le début juin 2018. Cette année-là, le printemps a fait des prolongations. Le début de l’été commence sur les chapeaux de roue. Contrairement aux autres saisons estivales, celle de 2018 était particulière ; à moins d’une année de l’élection présidentielle prévue pour avril de l’année suivante, Alger bruit de rumeurs en tous genres. L’affaire de la “cocaïne” vient d’éclater. Ce sont des grands déballages, des coups de canif dans les arcanes de l’État. Les clans au pouvoir se positionnent et le chef de l’Armée se fait de plus en plus présent. Au sein de la rédaction, ces fuites sont commentées, analysées et font l’objet d’articles lorsque les informations sont vérifiées. Mais dans un pays où le black-out sur l’information est la règle, on se contente souvent d’émettre des projections et, à défaut d’un article, cela permet au moins d’animer une rédaction où les échanges, les éclats de rire et parfois les coups de gueule sont légion.
J’ai évidemment participé à la confection du journal autour de ces questions qui, nous ne le savions pas encore, allaient être déterminantes pour les mois qui venaient. Nous avions traité toutes ces informations avec le même esprit de professionnalisme, mais aussi avec beaucoup de liberté. À ce moment-là, nous ne mettions carrément aucune ligne rouge avant de rédiger un article, en dehors des règles du métier. Les choses changeront avec le temps et les pressions deviendront plus directes. J’y reviendrai.
Parmi les sujets qui ont marqué cet été 2018, les manœuvres ont commencé autour de la succession, disait-on ouverte, à Abdelaziz Bouteflika. Abderrazak Makri, le patron du Mouvement de la société pour la paix (MSP), joue les entremetteurs auprès de Saïd Bouteflika dans le but de reporter l’élection présidentielle et créer les conditions d’une période de transition. Il suscite l’ire de l’opposition qui l’avait déjà accusé de trahison une première fois lorsqu’il avait rencontré, en catimini, Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre. Ces données constituaient, pour nous journalistes, une matière inestimable ; une denrée qui devient rare en été lorsque les politiques partent en vacances.
À la rentrée 2018, la scène politique commence déjà à bruire des rumeurs les plus folles sur les éventuels candidats du pouvoir, lorsque Saïd Chekri et Rabah Abdellah décident de relancer le Forum de Liberté, l’un des espaces des débats les plus prestigieux et les plus ouverts du pays, où politiques, activistes, artistes ou de simples faiseurs d’opinion pouvaient s’exprimer sans crainte et sans tabous. J’étais choisi pour en être l’animateur pour les conférences politiques, tandis que mon collègue Saïd Smati était chargé d’arbitrer les thèmes économiques. De ces innombrables numéros du Forum, je garde des souvenirs inoubliables. Certaines conférences peuvent même servir de repères et de trame pour des travaux de recherche ou pour des journalistes. Elles ont servi de tribunes à des personnalités qui dénonçaient les violations de la loi par l’équipe dirigeante de l’époque mais qui se sont permis des arrangements avec la réalité avec les pouvoirs venus après le Hirak.
En plus de fournir une matière au journal, ces débats ont constitué une agora ouverte à tous les courants d’opinion, où Saïd Sadi, Zoubida Assoul, Louisa Hanoune, Mohcine Belabbas ou encore Djamel Zenati ont partagé la même tribune avec Abderrazak Makri ou Abdelaziz Belaïd, ou encore Ali Benflis. Mais le passage du général Ali Ghediri, en janvier 2019, constitue, pour moi, l’un des moments les plus marquants de ces rendez-vous hebdomadaires. Pour sa première grande sortie médiatique après l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle d’avril de la même année. Pour l’occasion, la salle des conférences de l’hôtel Sofitel est pleine à craquer : journalistes nationaux et étrangers, des personnalités de tous horizons et des dizaines de citoyens sont venus écouter les grandes lignes de celui qui voulait créer “une rupture avec le système”. Le succès fut total. Mais une fois de retour à la rédaction, j’ai appris que c’était la dernière fois que j’avais animé les débats du Forum dans cet établissement hôtelier, les services de sécurité ayant signifié à la direction que désormais le journal devait se munir d’une autorisation. Cela n’a pas pour autant empêché les débats de se poursuivre au sein du siège du journal malgré les problèmes d’accessibilité qui se posaient à nous.
Puis, vint le Hirak. De tous les quotidiens algériens, Liberté faisait partie des rares quotidiens à avoir couvert les immenses manifestations du 22 février et surtout celles qui les avaient précédées, notamment à Khenchela et à Kherrata. Chaque samedi et mardi, la Une du quotidien était ornée d’images des masses compactes venues réclamer le changement du système politique. Les journalistes de la rédaction se relayaient pour couvrir ces marches atypiques. Mais on ne savait pas encore que cette ferveur, cette quête de liberté et d’indépendance se transformera quelques mois plus tard en cauchemar.
Dès l’été 2019, la répression a commencé à s’abattre sur les activistes et les journalistes. La détention du propriétaire du journal, Issad Rebrab, n’a fait qu’empirer une situation déjà précaire. Rabah Karèche et Mohamed Mouloudj en ont payé le prix, puisque le premier a connu la prison et le deuxième y est toujours. Pour moi, c’est à ce moment-là que le dernier virage pour la fin du journal fut amorcé. Un déclin qui s’est confirmé au fil de ces derniers mois à cause notamment des coups répétés des autorités. Puis, un jour de mars 2022, l’information est tombée.

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