Par : Mustapha Hadni
Ex-coordinateur national du PLD
Cette révolution marque une époque-clé dans l’histoire d’après-guerre d’Algérie. Elle a créé une onde de choc nationale et généré un enthousiasme sans précédent. Son importance capitale vient du fait que, dès le mois de février, elle a amorcé un mouvement irréversible dans le sens de la transformation politique, revendiquant, ainsi, la rupture avec le système, son mode de gestion, ses pratiques et sa composante.”
Un large mouvement populaire et un foudroyant sursaut de dignité du peuple algérien inaugurent l’année 2019, visant à se réapproprier son destin longtemps confisqué. Il amorce une dynamique historique et ouvre une perspective salutaire : la révolution pacifique.
L’émergence de ce mouvement est, en fait, l’expression d’une révolte pacifique, parfaitement légitime contre un système qui n’a rien à offrir au peuple et contre la modernité inachevée, tronquée et trompeuse qui l’accompagne depuis le mouvement de libération national.
Le peuple algérien, depuis, affiche d’une façon émouvante son aptitude collective à accepter le progrès le plus audacieux et revendique, ainsi, son aspiration à vivre dans une société moderne. Il s’agit, en effet, d’un mouvement inédit, l’exemple rarissime qu’ait connus l’histoire contemporaine de l’Afrique du Nord, et, est qui devenu, depuis, le lieu commun du peuple algérien.
Si beaucoup ont mis le doigt sur la part considérable d’inspiration, d’énergie et de disponibilité positive qu’il soulève et suscite au sein des masses populaires, très peu ont écrit sur ses insuffisances, les dangers de dévoiement et de récupération qu’il court. Nous sommes, en effet, entrés dans une phase de renaissance des résistances et des flux des luttes d’émancipation dont il nous faut être attentifs pour analyser les directions et les chances de son développement et de son aboutissement. Pour mieux la comprendre et évaluer son impact, nous devons l’envisager sur la longue durée et analyser, ainsi, sa composante et ses rapports avec le système et sa périphérie.
L’erreur fatale du régime est de croire que l’émergence de ce mouvement historique revendiquant une nouvelle république basée sur la restauration de la démocratie véritable, la justice sociale et la souveraineté nationale est la résultante de l’irruption sur la scène nationale d’un peuple culturellement et politiquement arriéré, immature, manipulé, incapable donc de comprendre la portée politique et historique d’un impératif changement. D’ailleurs, cette propagande largement diffusée et relayée par les médias inféodés au système est fondée sur le préjugé que seul le régime peut changer les choses.
Il suffit, pourtant, d’un rétrospectif historique pour se rendre à l’évidence que ni le système ni les islamistes ne veulent de modernité et de démocratie pour notre pays. Leur objectif exclusif est de faire avorter le mouvement démocratique pleinement assumé et fortement revendiqué par le peuple et, à cette fin, perpétuer à jamais la soumission de l’Algérie aux forces conservatrices et rétrogrades. On comprend mieux alors que le conflit géostratégique principal de cette révolution soit porté sur cette voie.
Voilà pourquoi la lutte pour la démocratisation laïque prend aujourd’hui une dimension décisive dans le mouvement actuel qui oppose la perspective d’une émancipation du peuple algérien à celle du conservatisme et de l’islamisme politique. La duplicité cynique du discours du système sert parfaitement ses objectifs, et son soutien de fait à l’islamisme politique pense annihiler les capacités de la société algérienne à être au diapason du monde moderne.
La révolution de la dignité
Cette révolution marque une époque-clé dans l’histoire d’après-guerre d’Algérie. Elle a créé une onde de choc nationale et généré un enthousiasme sans précédent. Son importance capitale vient du fait que, dès le mois de février, elle a amorcé un mouvement irréversible dans le sens de la transformation politique, revendiquant, ainsi, la rupture avec le système, son mode de gestion, ses pratiques et sa composante.
Si aucun observateur ne se hasarde à prévoir l’issue de cette insurrection citoyenne, force est de constater qu’elle constitue, d’emblée, un bouleversement bénéfique des temps modernes avec son apport vital, son empreinte nationale et sa conquête progressive dans l’ordre politique et dans l’organisation sociétale.
Elle illustre l’imminence de la fin annoncée de la composante politique actuelle, remise en cause dans toutes ses dimensions politique, économique et sociale, et préfigure, ainsi, une nouvelle ère politique. Ce mouvement gigantesque du peuple algérien associe, principalement, trois composantes actives : d’une part, les jeunes, véritable fer de lance, politisés dans des formes modernes ; ensuite les femmes par leur présence massive dans les marches et dans les débats et, d’autre part, celle constituée des couches moyennes issues en partie de l’élargissement de la distribution de la rente.
Ils ont appelé à une révolution pacifique antisystème, démocratique et sociale. Bien que le mouvement demeure diversifié dans sa composition sociale et ses expressions politiques et idéologiques, il se situe dans l’ensemble dans l’émancipation et la modernité. Excepté pour les islamistes, elle porte dans ses différents segments deux objectifs communs : la restauration de la démocratie véritable, c'est-à-dire, l’avènement d’un nouvel ordre politique national et la souveraineté nationale, celle ayant trait à la sortie de la soumission au diktat international.
Depuis février 2019, l’environnement national a changé plus qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire post-indépendance de l’Algérie, il se caractérise, principalement, par un éveil politique national et une société très active politiquement. Cette évolution capitale et inédite modifiera en profondeur le statut de l’Etat-Nation : sa façon de traiter les citoyens et de gérer l’ensemble de ses responsabilités à leur égard, sachant au demeurant que l’Algérie est en face d’un déclin du monopole de l’état centralisé. Ce dernier est omniprésent et ne sert qu’à limiter la liberté d’initiative et de création, en dépit d’une flagrante absence de stratégie d’ensemble dans la construction et la gestion territoriale.
Le spectre de l’islamisme politique
Le néolibéralisme, pour combattre les Etats- Nations et affaiblir ses courants d’émancipation a parfaitement intégré l’islamisme politique dans ses approches géopolitiques et soutient activement son épanouissement. Son objectif est de museler les forces démocratiques et de progrès, pour favoriser le développement des forces rétrogrades.
Depuis des années, dans une communication soutenue, ses lobbies politico-médiatiques font la promotion de la compatibilité de l’islamisme politique avec la démocratie. Dans leur stratégie, ils déroulent des défis de natures différentes et des évolutions qualitatives dans les lignes politiques de la mouvance islamiste.
L’expérience algérienne, pourtant, nous enseigne que la dispersion des courants islamistes qui ont entraîné une diversification des lignes d’évolution des différentes sensibilités, installées dans différents groupes politiques et milieux sociaux imposerait la conclusion que l’islamisme politique, dans son ensemble, demeure commandé par des lois d’évolution coranique.
Celui-ci appelle à la soumission, pas à l’émancipation, il récuse le concept de la modernité émancipatrice et refuse la démocratie et le droit à la société de construire son avenir par la liberté qu’elle se donne pour légiférer. D’ailleurs, il ne répond guère qu’aux exigences d’une société archaïque et ultra conservatrice. Son idéologie économique est adossée à l’ordre politique mondial et est acquise à un système totalement dépendant de l’extérieur. Il soutient les politiques néo-libérales et accepte de facto la soumission aux exigences du déploiement du contrôle des puissances supranationales.
Les islamistes demeureront toujours un ennemi féroce des mouvements progressistes et ne sont pas destinés à se rallier à la cause démocratique. Les exemples turc et tunisien sont suffisamment révélateurs de la régression démocratique que l’islamisme politique continue de causer à travers la guerre menée contre les modernistes dans ses différentes composantes, politiques, sociales et culturelles. Les élites démocratiques et modernistes algériennes accumulent un énorme retard dans l’analyse des enjeux fondamentaux de la crise nationale et dans l’appréciation de l’islamisme politique, et par voie de conséquence, révèle cette incapacité à se saisir d’une initiative stratégique et historique.
L’opposition démocratique
Force est d’admettre que l’opposition démocratique structurée n’a pas su éviter le déclin et a succombé aux assauts du régime, en dépit de tentatives répétées de sortir du statut périphérique du système, dominé par les forces les plus agissantes. Le fait qu’elle ait été associée au pouvoir a réduit grandement l’importance de sa crédibilité et a porté préjudice au brillant de son projet de société.
Une nouvelle dynamique entre l’affirmation d’un changement radical et ses rapports avec la modernité doit être amorcée car ni au plan politique, ni au plan organisationnel, la classe politique n’apparaît en mesure d’assumer un tel objectif. Pour devenir audible et crédible, elle devra faire face à de nombreux obstacles : d’une part surmonter ses propres faiblesses en construisant des convergences positives entre ses composantes progressistes pour concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces d’autre part, exiger l’abandon définitif des illusions passéistes de perspective d’un changement du système de l’intérieur pour mettre en déroute les injonctions du régime.
Les divergences d’approches économiques ne devraient pas empêcher que se maintienne un dialogue stratégique auquel devraient participer les plus brillants esprits et qui fourniraient les jalons intellectuels indispensables pour un ensemble doctrinal adéquat à la hauteur des exigences politiques, défis économiques et réalités culturelles nationales. Cette pensée ne doit peut plus être celle d’une vision autocentrée, uniforme et univoque.
Pour l’édification de cette œuvre, il faut une élite consciente et désintéressée à plus d’un titre, animée de la passion de tout transformer, de tout créer à partir de l’idéal démocratique. Une telle ambition impose de l’innovation, de la créativité et la nécessité d’une vision d’ensemble des questions stratégiques.
La modernité est un processus qu’on ne saurait réduire à une formule statique et définitive, comme celle que représente la démocratie contemporaine (pluripartisme, élections, droits de l’homme ...etc.).
Elle enveloppe tous les aspects de la vie sociale, et non exclusivement la gestion de la dimension politique de celle-ci. La modernisation concerne tous les rapports entre les individus, au sein de la famille, sur les lieux de travail, dans les rapports de ceux-ci avec les décideurs économiques, administratifs et politiques. Elle implique qu’on associe et non pas dissocie modernité politique et progrès social. Il n’y a pas de société avancée sans intégration des droits de l’individu dans ceux des collectifs de travailleurs et du peuple.
Depuis le tsunami de février 2019, le système et les formes de gestion politique qui lui sont associées sont certainement encore en place, mais sont entrés dans une crise profonde qui en a déjà érodé leur légitimité. Cependant, le manque d’un ensemble doctrinal adéquat et les insuffisances d’un projet démocratique alternatif annihilent l’efficacité de ce mouvement historique.
Naturellement, il ne s’agit pas de sous-estimer sa portée, mais de surmonter le défi qu’exige la libération des capacités inventives du peuple algérien, nécessaire pour lui permettre de devenir un acteur actif dans le façonnement du nouveau visage de l’Algérie. Pour cela, il faut opérer la jonction entre les consciences politiques et sociales et permettre, ainsi, la cristallisation d’une double conscience suffisamment claire et réfléchie pour embrasser, au-delà de l’objectif de la restauration démocratique, les problèmes désormais liés d’une société révolutionnaire.