L’État n’a pas pu créer les conditions à même de neutraliser les filières de distribution “informelles” des logements sociaux au sein de son propre appareil. Cette faille dans la politique d’attribution explique en partie l’aggravation de la crise du logement.
Depuis l’indépendance à ce jour, le logement s’est toujours approprié une dimension sociétale avérée, dépassant de loin les aspects technico-administratifs dans lesquels les pouvoirs publics ont voulu le circonscrire.
Bénéficier d’un logement en Algérie signifie que le citoyen attributaire a réglé une partie non négligeable de ses problèmes sociaux. Le logement est un facteur de stabilité par excellence. En revanche, en être dépourvu crée chez le demandeur le sentiment d’être victime d’une injustice, d’une négligence, voire d’une apathie de la part des autorités. Au fur et à mesure que la demande du postulant est ignorée et à chaque fois que son nom ne figure pas sur la liste des bénéficiaires, ce sentiment légitime de victime laisse la place à la haine et à l’esprit revanchard. Les réactions des exclus de ces programmes sont malheureusement souvent violentes et provoquent un désordre et des troubles dans la société mettant ainsi dans l’embarras les responsables locaux.
Routes barrées, sièges de daïra ou d’APC fermés, sit-in devant les collectivités locales, tentatives de suicide, des heurts avec les services de sécurité, des émeutes… sont autant d’actes fougueux et incontrôlés auxquels recourent de manière systématique ces mal-logés.
Ce phénomène se manifeste dans toutes les wilayas. Aucune localité n’est épargnée. Les exemples sont multiples. Des mouvements de protestation et de contestation qui deviennent en un laps de temps de véritables émeutes sont signalées ces derniers jours après l’affichage des listes des bénéficiaires de logements sociaux dans plusieurs régions de l’est du pays. Pis, des contestataires ont menacé de se suicider en faisant exploser une bonbonne de gaz, à l’intérieur du siège d’une daïra.
À Tébessa, des dizaines d’habitants ont bloqué récemment l’axe routier reliant El-Meridj à l’autoroute Est-Ouest avec des pneus brûlés, des blocs de pierres et des troncs d’arbre. Plus de 4500 habitants de cette localité revendiquent leur droit au logement rural. Des résidents de deux bidonvilles situés dans la banlieue d’Alger ont manifesté également leur colère il y a une dizaine de jours, suite aux intempéries qui ont engendré des dégâts sur leurs habitations précaires. Pour montrer leur courroux, ils ont bloqué la circulation. Ils exigent leur relogement que les autorités locales leur ont promis depuis de longs mois. Afin d’instaurer le calme, les forces de l’ordre ont été déployées autour des deux quartiers. Dans certains quartiers de la capitale, les habitants ont lancé des pierres et des cocktails Molotov sur les policiers qui tiraient des gaz lacrymogènes. C’est dire le degré de violence incroyable atteint par cette bombe à retardement sociale, alimentée par l’irascibilité des citoyens lésés.
Exclue des listes des bénéficiaires de logements sociaux pour des raisons qui lui sont inconnues, une centaine de familles a décidé de squatter de logements sociaux à Draâ Ben Khedda (wilaya de Tizi Ouzou). Il a fallu l’intervention des compagnies nationales de sécurité (CNS) pour les en déloger… N’ayant plus où aller, ces citoyens ont tenté de s’opposer à ce délogement en bloquant une voie de circulation routière. Des échauffourées s’en sont suivies pendant plusieurs heures. Des jeunes ont été même embarqués par la police. Des dizaines d’habitants d’un bidonville de Bouira ont bloqué eux aussi la circulation ces derniers jours sur la route menant au tribunal de la ville pour dénoncer les promesses de leur relogement non tenues ainsi que leurs conditions de vie indécentes.
Ce sont justement toutes ces promesses de recasement et d’attribution non tenues des représentants de l’État qui ont provoqué la colère des citoyens nécessiteux. Pour ces derniers, la tolérance est devenue… intolérable et leur patience a atteint ses limites. Ils ont fini par comprendre que les engagements des gens qu’ils ont aidés pour remporter des élections et accéder au pouvoir, soit local ou régional voire national, n’étaient que des slogans électoralistes. Ils ont fini par se rendre à l’évidence qu’ils ont servi d’échelle, de pont, pour que ces candidats arrivent au pouvoir. La mise en œuvre des différents programmes de logements cache bien des enjeux sociaux, économiques et politiques.
Le logement, un instrument électoraliste par excellence
À la veille de chaque événement notamment le scrutin, les célébrations de fêtes nationales…, ces responsables locaux soulèvent l’étendard des “promesses électoralistes” et proposent des “gâteries chimériques” à leurs concitoyens. L’État continue ainsi, à travers des dispositifs administratifs de sélection des bénéficiaires, à jouer le rôle central de producteur et détient presque le monopole des programmes de logements sous différentes formes, qualifiés par les spécialistes de “rentes urbaines”. Car les conditions socioéconomiques ne sont pas favorables à son retrait de la scène économique et sociale du pays.
L’État n’a également pas pu créer les conditions politiques à même de neutraliser les filières de distribution informelles de ces offres en logements, au sein de son propre appareil. Le modèle de distribution des biens immobiliers pratiqué depuis les années 1990 n’a pas connu la mutation tant attendue. Ce qui veut clairement dire que les politiques d’habitat prônées par les différents ministres qui se sont succédé à la tête du secteur n’ont fait que contribuer à générer des tensions sociales difficilement maîtrisables remettant en cause l’intégrité et la crédibilité des élus et des responsables à tous les niveaux. L’on relève ainsi un retour en puissance de l’État dans la production résidentielle et son réengagement direct dans la distribution des logements depuis 2009, par le délestage des APC élues de cette tâche, confiée auparavant à des commissions présidées par les chefs de daïra.
Cet objectif annoncé de rendre plus transparente et équitable la répartition de ces biens, loin de tout acte de clientélisme et des pratiques de passe-droit, n’a visiblement pas été atteint. Ce qui, par conséquent, n’a pu calmer l’aigreur et l’amertume des citoyens. Ces populations se sentent en effet lésées et abandonnées par des autorités censées les défendre.
Elles réclament de ce fait avec force vigueur et en toute légitimité une part du “gâteau patrimonial” accaparé par une mafia à l’intérieur et à l’extérieur des institutions publiques. Ces citoyens exigent tout simplement l’application stricte des procédures de distribution de ces biens, conformément à la réglementation.
Si l’on se réfère au nombre de logements sociaux locatifs livrés chaque année, qui oscille entre 35 000 et 52 000 unités, l’on serait tenté de dire que la crise devrait être résolue définitivement en deux ou trois ans seulement.
Or le fait de ne pas réussir à couvrir les besoins exprimés laisse planer un doute sur la destination finale de tous ces programmes achevés… Ce sont autant de “failles”, de “défaillances” sur lesquelles le fichier national des attributaires n’a apparemment pas d’emprise... Quelle que soit la justesse du classement opéré par les commissions d’attribution de logements, les listes de bénéficiaires sont systématiquement frappées de suspicion de pratiques de corruption, de népotisme, de clientélisme et autres passe-droits ayant pour objectif de “glisser” dans les listes d’attribution des indus bénéficiaires… Peut-on rêver de voir un jour en Algérie une opération de distribution de logements contenter les postulants d’une localité et se dérouler dans le calme et la sérénité ?
Badreddine KHRIS