L’Actualité ÉLECTIONS LOCALES DU 27 NOVEMBRE

Bab El-Oued regarde ailleurs

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Mehdi MEHENNI Publié 10 Novembre 2021 à 00:21

© Archives Liberté
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Une semaine  après  son  lancement, la campagne électorale pour les élections locales du 27 novembre prochain peine à s’installer. Dans le quartier populaire de Bab El-Oued, les citoyens sont plus pris par les préoccupations d’un quotidien difficile.

Alger, Bab El-Oued. Dans une ruelle avoisinant la mythique salle Atlas, deux frêles silhouettes traînées par le vent et emmitouflées dans de gros manteaux d’occasion, approchent le moindre véhicule à la recherche d’un stationnement.

Le regard vif et méfiant, elles s’assurent d’abord qu’aucun policier ne se cache dans la voiture. Aussitôt rassurés, Halim, 43 ans, réclame d’encaisser les 100 DA à l’avance, pendant que son frère aîné, Samir, 45 ans, fait le guet. Le frère aîné est sorti récemment de prison. “De temps à autre, ils viennent nous chercher. J’ai passé trois mois en taule, cette fois-ci. Mais je leur dis la même chose à chaque fois que je suis embarqué. 

À ma libération, je recommencerai avec les parkings sauvages. Il n’y a pas de travail. J’ai une femme et trois enfants. Il faut bien les nourrir”. Halim, lui, a l’air moins soucieux. Il n’a ni femme ni enfants. Il s’exclame d’ailleurs : “Où est-ce que je vais les mettre !” Les deux frères habitent un trois-pièces, dans la ruelle même, avec leurs sœurs et leurs parents. Aucun programme de distribution de logements sociaux n’étant en perspective, ils affirment ne pas détenir une carte de vote. “L’urne, je ne l’ai jamais vue qu’à la télé”, s’en moque Samir.

À la question de savoir s’ils vont peut-être rompre, le 27 novembre prochain, avec leur tradition abstentionniste, les deux frères se regardent, confus, avant de lâcher sur un ton d’agacement “yak darou el intikhabat !”. 

Samir et Halim ne sont pas au courant pour les prochaines élections municipales. Maintenant qu’ils ont encaissé les 100 DA du stationnement, ils commencent à manifester des signes d’énervement. C’est peut-être le moment de les laisser “lever l’impôt du quartier” sur un autre automobiliste. Un peu plus bas, sur le Front de mer, aucun panneau d’affichage électoral n’est visible. Seule une large bande annonce la couleur : en gros caractères rouges noirs est écrit “Ouled El-Bahdja, unis nous sommes, unis nous resterons”.

À côté, le choc des vagues contre les digues, repousse les promeneurs sur la corniche surplombant la plage El-Kettani. Mais pas les quelques couples abrités sous leurs parapluies ou encore les pigeons s’offrant un bain matinal dans des flaques d’eau formées par-ci, par-là. Mais Bab El-Oued, c’est surtout sa mythique place des Trois-horloges.

Ce vieux quartier populaire de l’Algérois, compte quelque 80 000 âmes logées essentiellement dans du vieux bâti. C’est l’une des communes les plus pauvres de la capitale, avec une fiche de calcul annuelle variant entre 10 et 13 milliards de centimes. De quoi couvrir à peine six mois de salaire sur douze des travailleurs de la commune, selon un élu local dont le mandat s’achève dans moins de deux semaines. “Pour les six autres mois de salaire, nous sollicitons, chaque année, l’aide de la wilaya d’Alger”, confie-t-il.

Cette situation n’a pas découragé pour autant des prétendants à se lancer dans une compétition électorale qui ne mobilise pas beaucoup de partis politiques. Seules cinq listes, le FLN, le RND, le FFS, le Mouvement El-Bina et le Front El-Moustakbel, se disputent 23 sièges. Ils doivent convaincre les 40 000 électeurs inscrits sur le fichier électoral de la commune. 

Pas si facile. Au sixième jour du lancement de la campagne électorale, les cinq partis concernés, n’ont pas tous encore ouvert leurs permanences. À vrai dire, seul le Mouvement El-Bina a ouvert les portes de son local, mis à sa disposition par un sympathisant du parti, au coin du boulevard Colonel-Lotfi et la rue Sid Ali-Aouf.

Un vieux bureau en bois massif occupé par un jeune candidat de 23 ans, quelques chaises en plastique et des paquets d’affiches électorales laissées par terre, tel est le décor qu’offre la permanence d’El-Bina. Ramzi Boudouani, fraîchement diplômé d’un master en droit judiciaire, est enseignant dans une école primaire “pour dépanner”, dit-il.

Le parti qu’il vient de rejoindre dispose de son bureau communal depuis trois mois à Bab El-Oued. Bien que la permanence se trouve sur un axe principal, le jeune candidat n’enregistre pas encore d’affluence “La population est toujours timide”, note-t-il. Vraiment ? Belkacem, un jeune de 26 ans, assis sur son scooter au coin de la rue et tirant sur sa cigarette, ne partage pas du tout son avis : “Wlad Bab El-Oued ma bihoumch el hechma, marahoumch sam3in. Maderna walou, cha3b krah” (les enfants de Bab El-Oued ne sont pas timides, ils sont désintéressés. Cela ne sert à rien).

Belkacem habite en face du siège de la mairie et vend à la sauvette de la vaisselle sur les ruines de l’ancien marché couvert, en travaux depuis maintenant une année et demie. Autour de lui, ça parle de tout, sauf des élections.

Le seul intérêt que manifeste à ses yeux l’APC, c’est quand cela lui arrive de stationner la nuit son scooter dans son parking. Pour le reste, il dit ne pas se faire d’illusions : “Quand un incident s’est déclaré dans l’immeuble il y a quatre ans, nous avons cotisé entre locataires pour le retaper. Qu’ils votent entre eux. Nous, c’est l’indifférence totale. Du mépris. Lorsque, cependant, on trouve une affiche, on la déchire.”

Le père et l’oncle de Belkacem, une famille de 13 personnes, partageaient, il y a quelques mois, un appartement de trois pièces. Depuis que son oncle a déménagé, ils ne sont plus que cinq personnes à y habiter. Plus qu’un soulagement, un confort pour lui. “À Bab El-Oued, on ne vit pas. On vivote. On survit. Voyez-vous cet immeuble quasiment en ruine, mais toujours habité.

L'échafaudage est installé depuis peu et on se demande si ce n'est pas plutôt l'immeuble qui le soutient ! Drôle, n'est-ce pas ? À chaque fois que je traverse la rue, le bonheur se trouve tout juste à son issue. Après coup, on peut se considérer chanceux d'être encore en vie, de ne pas se retrouver gisant sous des barres de fer mal soutenues ou sous un gros morceau de béton détaché brusquement d'un balcon. Ça ne coûte pas cher le bonheur ici. La vie aussi !”, peste ce jeune de 26 ans, le sourire narquois, comme pour se moquer de son sort.

Belkacem enchaîne, mais c’est plus à lui-même qu’il donne l’impression de parler. Chaque mot est accompagné d’une grimace, comme une corde qui vibre sur le manche d’une guitare endiablée, et c’est déjà assez de cicatrices sur un visage aussi jeune.

“Vous connaissez le chant Bab El-Oued Chouhada ? Vous croyez que c'est juste un chant de stade exagéré ? Vous croyez que c'est juste en rapport avec les événements d'Octobre 1988 ? Non mon frère, c'est un chant de tous les jours, de chaque instant. Ici, plus qu'ailleurs, celui qui marche dans la rue sans se douter de son ombre peut mourir bêtement. Partir comme ça. Sans trop savoir ce qui lui arrive !” 

À Bab El-Oued, depuis que le marché couvert a été délocalisé à Triolet, des familles entières ont été plongées dans la pauvreté. Seuls quelque 100 commerçants ont pu bénéficier d’un espace de rechange, alors qu’avec le prolongement du marché dans les rues adjacentes, au moins 400 familles en tiraient bénéfice. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, si le jardin public jouxtant la mosquée “Es Suna”, pas de la place des Trois-Horloges, pullule de vendeurs de téléphones d’occasion et de vendeurs informels d’or.

C’est à partir d’ici que déferlait la fameuse vague citoyenne “Casbah-Bab El-Oued”, pour prendre d’assaut la Grande-Poste d’Alger, durant les longs vendredis du Hirak. Alors, lorsque les clients se font rares, les désœuvrés s’acharnent sur les affiches collées sur le panneau électoral.

C’est le cas aussi à la frontière entre l’avenue Colonel-Lotfi et l’avenue Mohamed-Boukela où seuls les panneaux d’affiches électorales, sur lesquels des vendeurs à la sauvette accrochent des parapluies cédés à 650 DA l’unité, indiquent la perspective de prochaines élections.

Haut lieu de la colère sociale et symbole d’une jeunesse en rupture, Bab El-Oued, en cette timide campagne électorale, semble regarder ailleurs… vers elle-même et ses blessures en ce 20e anniversaire des tragiques inondations qui ont failli jeter cet immense quartier populaire  dans la mer. 
 

Réalisé par : MEHDI MEHENNI

 

 

 

 

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