Par : DR ABDERRAHMANE MEBTOUL
PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS,EXPERT INTERNATIONAL
Certes, le cours du pétrole a été coté le 21 janvier 2022 dans la matinée à 87,11 dollars pour le Brent et à 84,29 dollars pour le Wit, une hausse sans précédent depuis des années. Pour éviter de fausses interprétations, le prix élevé, durant cette conjoncture, à la pompe pour les pays importateurs d’énergie n’est pas dû qu’à la hausse des prix du gaz/pétrole sur le marché mondial, mais à l’importance des taxes, dépassant parfois les 50% qui alimentent les budgets des États, et pour les produits manufacturés industriels et agricoles, les pays développés répercutent cette hausse au niveau des importations des pays producteurs d’hydrocarbures qui n’ont pas une économie diversifiée. Dans le domaine énergétique, le monde devrait connaître entre 2022 et 2025 et entre 2030 et 2040 un profond bouleversement et donc du pouvoir économique mondial, l’énergie étant au cœur de la sécurité des nations.
Lors d’une conférence devant le gouvernement en novembre 2014, j’avais attiré l’attention qu’il s’agissait, pour comprendre les déterminants du cours du pétrole, de raisonner sur le moyen et le long termes afin d’éviter d’induire en erreur les hautes autorités du pays. Certains experts, lors de cette conférence, avaient prédit un cours de plus de 100 dollars entre 2015 et 2019, erreur d’appréciation et de prévision, que certains veulent reconduire en 2022, qui a conduit le pays à l’impasse que nous connaissons depuis. Cette hausse actuelle de court terme, certes bénéfique pour le pays, atténuant les tensions financières, doit donc être utilisée à bon escient afin de diversifier l’économie nationale.
C’est que l’Algérie, grâce à Sonatrach, a eu d’importantes rentrées en devises ; mais cette manne financière a-t-elle favorisé le développement durable ? Selon nos estimations, les rentrées en devises entre 2000 et 2021 sont estimées approximativement autour de 1 100 milliards de dollars avec une importation de biens et services de plus de 1 050 milliards de dollars. Malgré ces dépenses en devises, et devant inclure les dépenses en dinars, la croissance a été dérisoire en moyenne annuelle de 2/3% entre 2000 et 2019, alors qu’elle aurait dû dépasser 9/10%, espérant 3,3% pour 2021 après une croissance négative de 6%, selon la Banque mondiale, et 4,9 négatif, selon le FMI, en 2020. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente ; ainsi, 3% rapportés à un taux faible donnent, cumulé par rapport à la période précédente, inférieur à la pression démographique, plus de 44 millions d’habitants au 1er janvier 2021, où il faut pour réduire les tensions sociales créer 350 000/400 000 emplois productifs par an qui s’ajoutent au taux de chômage actuel estimé en 2021 par le FMI à environ 14,5%. Malgré toutes ces rentrées en devises, l’économie algérienne en ce mois de janvier 2022 reste tributaire à 98% des dérivés des hydrocarbures. Pour l’année 2021, l’Algérie a peu profité des hausses de prix puisque, selon le rapport de l’Opep, les exportations se situent à environ à 500 000 barils/j pour le pétrole et pour le gaz les exportations environ 43/44 pour 2021, avec une baisse en volume physique par rapport à 2007-08 entre 20 et 25. Selon le rapport du FMI de fin décembre 2021, les exportations ont atteint en 2021 les 37,1 milliards (32,6 pour les hydrocarbures et 4,5 milliards hors hydrocarbures), dont près de 2,5 milliards de dollars de dérivés d’hydrocarbures, en prenant les estimations récentes du bilan de Sonatrach pour 2021 dont les recettes globales, y compris les dérivés, sont estimées à 34,5 milliards de dollars. La majorité des rapports internationaux montrent clairement que le cours du pétrole pourrait être élevé, entre 2022 et 2024, avec un prix très modéré entre 2025 et 2030 du fait de l’inévitable transition énergétique avec l’accélération de l’hydrogène comme source d’énergie entre 2030 et 2040. Aucun pays du monde ne s’est développé grâce aux exportations de matières premières brutes mais grâce à la bonne gouvernance et à la valorisation du savoir. La forte consommation intérieure, selon le ministère de l’Énergie, risque de dépasser les exportations actuelles à horizon 2030. Cela rend urgente la publication de décrets d’application de la loi des hydrocarbures, ayant assisté à un net recul des IDE entre 2018 et 2021, Sonatrach ayant signé surtout des lettres d’intention qui n’engagent nullement l’investisseur.
Nouveau modèle de consommation énergétique
D’où l’importance, pour l’Algérie, d’une politique énergétique autour de cinq axes. Le premier axe est d’améliorer l’efficacité énergétique. En Algérie existe un véritable paradoxe : la consommation résidentielle (riches et pauvres payent le même tarif ; il en est de même pour les carburants et l’eau) représente 60% contre 30% en Europe, et la consommation du secteur industriel 10% contre 45% en Europe, montrant le dépérissement du tissu industriel, soit moins de 6% du produit intérieur brut. Car comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant une forte consommation d’énergie, alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation ? Par ailleurs s’impose une nouvelle politique des prix (prix de cession du gaz sur le marché intérieur environ un dixième du prix international, occasionnant un gaspillage des ressources qui sont subventionnées pour des raisons sociales). À cet effet, une réflexion doit être engagée par le gouvernement pour la création d’une chambre nationale de compensation, que toute subvention devra avoir l’aval du Parlement pour plus de transparence, chambre devant réaliser un système de péréquation. Le deuxième axe est l’investissement à l’amont pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnelles. Pour la rentabilité des gisements tout dépendra du vecteur prix au niveau international et du coût, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables et nécessitant de mobiliser plus de 70 milliards de dollars pour les cinq prochaines années, alors que les réserves de change sont estimées à fin 2021 à environ 44 milliards de dollars, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production et accéléré le processus inflationniste du fait que 85% des matières premières des entreprises publiques et privées sont importés en devises. Le troisième axe est le développement des énergies renouvelables devant combiner le thermique et le photovoltaïque dont le coût de production mondiale a diminué de plus de 50%. D’où l’urgence de revoir le modèle de consommation énergétique afin de s’adapter aux nouvelles mutations 2022/2025/2030 afin d’asseoir, dans les faits et non dans les discours déconnectés de la réalité, les énergies du renouvelable qui représentent moins de 1% de la consommation intérieure. Or, avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, ou presque. Le soleil tout seul ne suffit pas. Il faut la technologie et les équipements pour transformer ce don du ciel en énergie électrique. La production à grande échelle permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l’aval une multitude de PMI-PME, renforçant le tissu industriel grâce aux industries écologiques.
La combinaison de 20% de gaz conventionnel et de 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale en électricité et 10 000 MW à l’exportation. D’ici à 2030, l’objectif de l’Algérie serait de produire 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables. La promotion des énergies renouvelables suppose des moyens financiers importants en investissement et en recherche-développement, avec des données contradictoires dans plusieurs conseils des ministres entre 2008 et 2019 : 60 ou 100 milliards de dollars montrant la non-maîtrise du coût des projets. Problème : l’Algérie aura-t-elle les capacités d’absorption, la maîtrise technologique pour éviter les surcoûts et la maîtrise du marché mondial, et ne serait-il pas préférable de réaliser ces projets dans le cadre d’un partenariat public/privé national et international ? Quatrième axe : l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 pour faire face à une demande en électricité galopante, selon le ministère de l’Énergie et des Mines, l’Institut de génie nucléaire, créé récemment, devant former les ingénieurs et les techniciens en partenariat, qui seront chargés de faire fonctionner cette centrale. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29 000 t, de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1 000 MW chacune pour une durée de 60 ans, selon les données du ministère de l’Énergie. La ressource humaine étant la clé, à l’instar de la production de toutes les formes d’énergie, et afin d’éviter cet exode de cerveaux massif que connaît l’Algérie, le poste services avec la sortie de devises étant passé de 2 milliards de dollars en 2002 à 10/12 milliards entre 2010 et 2019, étant estimé à environ 6 milliards de dollars pour 2021, dont une grande partie destinée au secteur hydrocarbures. Le cinquième axe, l’option du gaz de schiste introduite dans la nouvelle loi des hydrocarbures, l’Algérie possédant la troisième réserve mondiale, selon des études aux USA. En Algérie, devant éviter des positions tranchées pour ou contre, un large débat national s’impose, car on ne saurait minimiser les risques de pollution des nappes phréatiques au sud du pays.
En résumé, les changements économiques survenus depuis quelques années, ainsi que ceux qui sont appelés à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir. Pour l’Algérie, toute décision majeure doit être prise par le Conseil national de l’énergie, présidé par le président de la République. Pour relancer l’économie nationale en 2022 et réaliser la transition énergétique et numérique (voir dans le quotidien Liberté du 20 janvier 2022 notre contribution sur les cyberattaques) loin des discours, les résultats sur le terrain étant insignifiants, il faut une autre organisation institutionnelle, loin de l’esprit rentier de distribution de portefeuilles ministériels, qui souvent se télescopent, rendant incohérentes les actions, alors que les objectifs sont complémentaires : un grand ministère de l’Énergie avec trois secrétaires d’État techniques, les énergies traditionnelles, les énergies renouvelables et l’environnement étant irrationnels avec l’existence de trois ministères. Et cela concerne d’autres organisations, notamment devant regrouper l’Industrie, les PME/PME, les Mines, les Start-up et un grand ministère de l’Économie regroupant le Commerce et les Finances et au niveau local six à sept grands pôles économiques régionaux autour d’espaces relativement homogènes pour attirer les investisseurs créateurs de valeur ajoutée.