Liberté : Les prix du pétrole ont frôlé hier la barre des 100 dollars. S’agit-il d’une flambée conjoncturelle ou d’une tendance appelée à s’inscrire dans la durée ?
Francis Perrin : Le 22 février, vers 15h30 heure de Paris, le prix du pétrole Brent de la mer du Nord était proche de 98 dollars par baril. Ce niveau très élevé résulte de la conjonction entre un marché pétrolier mondial assez tendu (une demande en forte hausse, une offre qui a un peu de mal à suivre et des stocks pétroliers assez bas) et des tensions géopolitiques élevées, notamment la crise russo-ukrainienne. Si la demande pétrolière mondiale était moins forte et l'offre plus abondante, nous ne serions pas à un tel niveau de prix même avec la crise russo-ukrainienne. À l'inverse, sans de telles tensions géopolitiques, les prix du brut seraient un peu plus bas que leur niveau actuel. Ce sont principalement des facteurs économiques et pétroliers qui ont entraîné une hausse spectaculaire des cours de l'or noir, celle-ci ayant commencé en avril 2020. En revanche, l'augmentation récente des prix, au cours des derniers jours et des dernières semaines, découle principalement des tensions géopolitiques.
La crise ukrainienne risque-t-elle de tirer les prix du brut vers des records encore supérieurs à ceux actuels ?
Il y a clairement un potentiel supplémentaire de hausse en lien avec la crise russo-ukrainienne. En cas de nouvelle guerre, les prix du pétrole pourraient dépasser aisément le seuil hautement symbolique des 100 dollars le baril. La Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole et un grand exportateur de brut. Et elle approvisionne l'Europe en pétrole et en gaz naturel. Une guerre pourrait entraîner des perturbations dans les exportations pétrolières de la Russie ou, autre scénario, les sanctions décidées par les pays occidentaux pourraient avoir un impact négatif sur la production et les exportations pétrolières de la Russie, ce qui, dans les deux cas, pousserait les prix à la hausse.
Quels impacts pourrait induire cette crise sur le marché du gaz ?
D'ores et déjà, les prix du gaz naturel sont orientés à la hausse et ils le seraient davantage en cas d'attaque de la Russie contre l'Ukraine. En termes de volumes exportés vers l'Europe, il est peu vraisemblable que la Russie restreigne délibérément ses exportations car c'est une source importante de recettes d'exportation pour ce pays. En revanche, il est possible que les opérations militaires qui seraient conduites en Ukraine aient un impact négatif sur le transit du gaz russe via l'Ukraine et vers l'Europe.
De plus, en cas de sanctions occidentales contre la Russie en représailles contre l'invasion de l'Ukraine, une partie de ces sanctions devrait logiquement frapper le secteur de l'énergie en Russie, dont le gaz. Le 22 février, les dirigeants allemands ont ainsi annoncé que le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2 était interrompu. Ce gazoduc qui relie la Russie à l'Allemagne, en passant par la mer Baltique, a été achevé en septembre 2021, mais il n'a pas encore commencé à acheminer du gaz vers l'Allemagne. Les pays européens, la Commission européenne et les États-Unis sont donc en train, depuis quelque temps, de démarcher plusieurs pays exportateurs de gaz pour savoir si ceux-ci ne pourraient pas temporairement exporter plus de gaz vers l'Europe si besoin était.
L’Opep pourrait-elle revoir sa stratégie de quotas de production pour aider à stabiliser le marché ?
L'Opep+ (23 pays producteurs et exportateurs de pétrole) se réunit le 2 mars pour décider de son niveau de production en avril 2022. À ce jour, la position majoritaire est d'annoncer à nouveau une hausse de la production de 400 000 barils par jour. C'est la suite de la feuille de route que déroule l'Opep+ depuis l'été 2021 (+400 000 b/j chaque mois).
Mais si la Russie attaque l'Ukraine et que la guerre et tout ce qui l'entoure (y compris des sanctions économiques) génèrent des perturbations dans les approvisionnements pétroliers, l'Opep ou l'Opep+ (la Russie fait partie de l'Opep+ mais pas de l'Opep) prendrait évidemment en compte de tels éléments géopolitiques.
Les États-Unis et l'Union européenne ne manqueraient pas, dans ce scénario, de lancer des appels à ces pays pour qu'ils mettent plus de pétrole sur le marché, en particulier l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui sont politiquement très proches de Washington.
Entretien réalisé par : AKLI REZOUALI