Il est 12h45. L'appel du muezzin à la prière du vendredi fuse d'un haut-parleur. Des fidèles, par groupes, pressent le pas vers la mosquée, à quelques encablures du palais présidentiel, sous les regards circonspects des forces anti-émeute.
Les magasins baissent rideau. La circulation automobile se fluidifie. Quelques kilomètres en contrebas, une dizaine de fourgons de la police se positionne à proximité du siège de la télévision algérienne au boulevard des Martyrs et autant devant le Palais du peuple.
De l’amorce du Sacré-Cœur et tout au long de la rue Didouche-Mourad, les piétons se comptent sur les doigts d’une main. Présage d'un autre vendredi sans Hirak. À la fin de la prière du vendredi, à 13h30, l'augure se confirme. Les citoyens quittent la mosquée Errahma, en silence, sans s’attarder sur les lieux et sans manifester la moindre velléité d’engager une action de rue.
La présence massive des brigades pédestres de la Sûreté nationale, en uniforme ou en civil, est certes dissuasive. Rapidement, la rue Didouche-Mourad, animée quelques instants par les fidèles sur le chemin du retour vers leur domicile, se vide à nouveau presque totalement. Le siège du RCD, hermétiquement fermé, marque le début d’une file de fourgons cellulaires, alignée sur un seul côté du trottoir.
Le dispositif s’allège au fur et à mesure que l’on avance vers la Grande-Poste. L’imposante bâtisse, bientôt centenaire, enveloppe de son ombre la place mythique du mouvement insurrectionnel contre le régime au temps de ses grandes démonstrations de force. “Il ne reste plus rien du Hirak. Les gens ont même peur de marcher dans la rue à l’heure coutumière des manifestations”, relève un sexagénaire dans un soupir.
Il lève le bras dans un geste de lassitude, puis remonte, le pas pesant, vers l’avenue Pasteur. La rue Hassiba-Ben-Bouali sombre également dans l’ambiance amorphe d’un jour férié ordinaire. A la place du 1er-Mai, le décor change radicalement.
Un déploiement important des casques bleus guette la sortie tardive des fidèles de la mosquée El-Houda. Rien à signaler, toutefois. Indifférents, des citoyens s’approvisionnent en fruits et légumes devant le marché Ali-Mellah, d’autres s’attablent dans les cafés et les fast-foods.
Les discussions portent essentiellement sur les derniers matchs de foot, la cherté de la vie, les résultats scolaires et les examens de fin de cycle. Deux sujets sont soigneusement évités : le Hirak et les élections législatives.
A Bab El-Oued, les forces de sécurité quadrillent étroitement la place des Trois-Horloges, point de départ traditionnel des marches du vendredi. Pourtant, dans ce quartier populaire et populeux, qui donne habituellement le plus grand contingent des contestataires, aucune tentative de défier l’interdiction de manifester ne semble envisagée. Trois hommes, dont l’un vêtu d’un qamis, sont discrètement interpellés et conduits vers le commissariat du 5e. Ils n’opposent aucune résistance. “Kamel, fais attention.
La placette grouille de civils”, lance un marchand ambulant à un camarade qui arrivait. Interrogé sur la perception des habitants de Bab El-Oued sur l’avenir du mouvement insurrectionnel, le jeune homme a longuement hésité à nous répondre, méfiant. Ce n’est qu’après lui avoir décliné la carte de presse qu’il a consenti à nous parler furtivement, en chuchotant presque.
“Les hirakistes irréductibles, connus des services de sécurité, sont arrêtés systématiquement dès qu’ils se montrent le vendredi. Ils évitent désormais de sortir avant la prière d’El Asr. La situation est compliquée. Est-ce que le Hirak est mort à Alger ? Je ne sais pas. Peut-être que oui ou peut-être ce n’est qu’une pause”.
Il affirme qu’il est issu d’une famille indigente et qu’il n’a pas pu pousser ses études au-delà de la 4e année moyenne. “Je suis vendeur de légumes. Grâce au Hirak, je suis plus politisé et je comprends mieux ce qui se passe dans le pays”. Qu’en est-il du scrutin législatif ? “Je regarde les affiches électorales par curiosité. Il y a beaucoup de visages qu’on ne connaît pas”.
A l’approche d’un policier, il se détourne prestement vers un client. Vers 14h30, les véhicules de la police quittent progressivement leurs positions sur le parcours de la marche hebdomadaire. Pour la quatrième semaine consécutive, la marche du vendredi n’a pas eu lieu dans la capitale.
Souhila H.