Tenaces, les partisans du Hirak continuent de battre le pavé dans plusieurs villes du pays en ce quatrième vendredi depuis la reprise des manifestations. Ils ne lâchent pas la revendication du changement démocratique.
À 13h30, des éléments des forces anti-émeutes forment un cordon, bloquant les accès au marché Meissonnier et au Sacré-Cœur. À cet instant, des clameurs s’élèvent du lieu de culte : “Dawla madania, machi 3askaria”.
La marche hebdomadaire démarre, comme d’habitude, avec le slogan phare de l’insurrection citoyenne, engagée dans sa troisième année. La foule bigarrée grossit au fur et à mesure qu’elle progresse rue Didouche-Mourad en direction de la Grande Poste. Le dispositif de sécurité est plutôt léger.
Les policiers, en uniforme ou en civil, surveillent le cours de la manifestation sans intervenir. Pourtant, des irréductibles du Hirak avaient craint des velléités de répression après l’interpellation d’une dizaine de retraités de l’ANP vers midi.
Le groupe voulait donner le coup d’envoi à l’action de rue précocement. Dès l’entame de la manifestation, des hirakistes tentent de prendre son contrôle par des mots d’ordre se référant à la décennie noire et à la stigmatisation des Services de renseignement.
Le cortège qui arrive de Belcourt, d’El-Harrach et de la place du 1er-Mai parvient à les imposer relativement tout le long de la rue Hassiba-Ben Bouali. Mais les voix perdent de l’intensité au contact de la foule dense, affluant de la rue Didouche-Mourad et de Bab El-Oued.
Sur différents axes de l’“épicentre” du Hirak dans la capitale, les protestataires expriment des revendications politiques plus en phase avec l’esprit du soulèvement populaire : changement du régime ; primauté du civil sur le militaire ; période de transition, rejet des élections législatives anticipées du 12 juin 2021.
Pendant plus de trois heures, “Makach intikhabat m3a el-3issabate” (pas d’élections avec le gang) ; “Période de transition, souveraineté populaire” ; “… Le peuple s’est libéré, c’est lui qui décide, État civil” ; “Restituez le pouvoir au peuple”… ont résonné dans les rues d’Alger-Centre.
Se démarquant de l’agression dont ont été victimes des journalistes le vendredi précédent, de nombreux manifestants scandent à tue-tête : “Sahafa hourra, 3adala moustaqilla” (presse libre, justice indépendante)…
“Honneur aux journalistes qui rapportent la vérité telle qu’elle est. Honte aux journalistes qui la déforment”, a écrit une jeune femme sur une pancarte. “Je suis un fidèle du Hirak, je sors surtout pour une justice indépendante, fondement de la démocratie.
Il faut déboulonner ce système, sinon nous n’avancerons pas”, souligne le Dr Boudiba, médecin généraliste, rencontré à quelques encablures de la place Audin.
Sur des écriteaux ou par les slogans, des manifestants revendiquent la démission du ministre de la Justice, garde des Sceaux, Belkacem Zeghmati, probablement à cause d’une note controversée adressée, l’avant-veille, aux représentants du ministère public.
À l’amorce de la rue Asselah-Hocine, le Dr Djamaleddine Oulmane attendait de pied ferme la procession de Bab El-Oued. Il porte une banderole représentant le sorcier Gargamel en train de poursuivre les Schtroumpfs avec une urne en bois.
“Je conçois une nouvelle banderole chaque vendredi”, révèle-t-il, soulignant que la rue est devenue une tribune d’expression libre, car les canaux conventionnels (médias notamment) sont contrôlés par l’État. “Le Hirak n’est pas encore une révolution, mais un bouillon de cultures révolutionnaires”, commente-t-il.
C’est ce qui explique, de son point de vue, le foisonnement de slogans politiques et idéologiques différents, parfois contradictoires. Il regrette l’étouffement des revendications sociales, alors que des pans entiers de la population s’enlisent dans l’indigence.
“Le jour où les manifestants feront la jonction entre la demande sociale et politique, nous serons engagés dans un processus révolutionnaire”, épilogue-t-il. La mobilisation se poursuit jusqu’à 17h, dans une atmosphère détendue, sans incidents majeurs.
Souhila H.