Dans l’écriture de son premier roman, Yasmina Azzoug n’a, certes, pas emprunté les sentiers battus littéraires. Elle a opté pour un genre plus complexe, qui exige une certaine technicité au-delà du talent et de la maîtrise de la langue.
L’entame de l’œuvre L’Histoire et la géographie sortie récemment chez les éditions Chihab, est confuse. L’auteure, Yasmina Azzoug, met en scène les jeux d’une enfant sur la plage, puis aborde un descriptif épuré de deux quartiers d’Alger -Leveilley et Aïn Taya- qu’elle oppose sur des différences marquées : localisation, toponymie, vécu des habitants, leur rapport à la mer… Puis soudainement, elle se retranche dans l’arrière-décor de son histoire. De chapitre en chapitre, elle laisse soliloquer ses personnages sur leurs propres destinées, les réminiscences de leur passé, sur leur rêves exaucés ou évanouis au gré des années et des évènements malencontreux. Elle ne révèle pas franchement la parenté qui la lie à Amar et Brahim.
Elle suggère subtilement et parcimonieusement que les deux hommes, que tout sépare dans l’absolu, sont corrélés l’un à l’autre grâce à elle, fille de l’un, petite-fille de l’autre. Elle valse du père vers le grand-père et vice-versa, relatant des séquences de leur vie, liées à une année (1970, 1980) ou période (1939-1945 ; 1951-1961…). L’histoire plus large, celle du monde (enrôlement des Algériens dans l’armée française durant la Deuxième Guerre mondiale) ou du pays (guerre d’Algérie principalement) se greffe au récit intimiste de l’écrivaine par la voix de ses deux personnages principaux. Amar, l’aïeul, est un ouvrier agricole. Il aime le travail de la terre. Il a la main verte. Tout ce qu’il plante pousse, verdoie, donne de beaux fruits et légumes. Il achète un lopin de terrain fertile à des colons, à Aïn Taya. Il le transforme en un paradis végétal. Il y construit une maisonnette sur un périmètre en retrait. C’est dans cet endroit qu’elle dit passer ses vacances, un dépaysement à vingt kilomètres de sa résidence principale, dans la citadinité du quartier Leveilley. Elle décrit ce grand-père comme un homme de poigne, rustre et tendre à la fois.
Il entretient un rapport détaché avec les luttes pour l’indépendance du pays : “Le pays résiste. Je participe de loin et du bout des lèvres. Je fais mes versements au FLN, le soir, à l’abri des regards (…) J’habite dans un pays. Je ne sais pas à qui il appartient ce pays…”. Cinq ans après le déclenchement de la guerre, Brahim épouse la fille d’Amar, fruit d’un arrangement entre les deux familles. Il souffre des tribulations d’une cohabitation forcée dans la maison familiale avec sa mère, son frère et sa conjointe ainsi que sa sœur célibataire. Sa jalousie excessive exacerbe une relation de couple conflictuelle. Sous influence d’un cousin germain, il rejoint l’insurrection contre le colonisateur, sans conviction. “J’avais une planque à la maison. Je revoie les sachets remplis d’argent que je déposais au bureau central de Hussein-Dey (…) Quelques fois, j’ai glissé de faux papiers.
Cette guerre d’Algérie, c’est comme la zniqa. Un boyau qui sent mauvais et qui étouffe…”. Malgré tout, il est arrêté et jeté en cellule, avec d’autres moudjahidine. Pendant une année, il y subit le supplice, a failli être exécuté… Il en sort, marqué au fer rouge. Après l’indépendance, il émigre, en famille, en France. Le quotidien à Alger ne lui convenait plus. Amar préfère rester au pays, aidé dans son choix par son aisance financière. Dans l’écriture de son premier roman, Yasmina Azzoug n’a, certes, pas emprunté les sentiers battus littéraires. Elle a opté pour un genre plus complexe, qui exige une certaine technicité au-delà du talent et de la maîtrise de la langue. L’exercice n’est pas vraiment abouti. Elle a esquissé le profil de ses personnages sans aller à la profondeur de leur âme et de leur esprit. Elle a surfé sur la dimension émotionnelle. Le lecteur peine à s’attacher à Amar et Brahim, qu’il ne connaîtra pas vraiment après avoir “avalé” plus de 300 pages.
Souhila H.