Les droits d’auteur et droits voisins en Algérie occupent une place importante dans la vie d’un chanteur, acteur ou écrivain. Pendant des années, la question des rémunérations ou rétributions accordées à ces artistes a fait l’objet de nombreux débats, rencontres et parfois de controverses.
Certains artistes dénoncent la non-perception de leurs droits d’auteur, alors qu’un arsenal juridique est là pour les protéger. D’autres pointent du doigt la gestion de l’argent perçu du fait de l’exploitation de leurs œuvres. Au cœur de cette vaste problématique, surgit un autre point épineux, celui de la situation de nos artistes. Arrivent-ils à vivre de leur art ? Comment et par quels mécanismes les artistes perçoivent-ils leurs rétributions ? Comment l’Onda (Office national des droits d’auteur et droits voisins) gère-t-il cette manne provenant de la protection des œuvres artistiques ? Et comment chanteurs, acteurs, producteurs et écrivains vivent-ils cette situation ? Liberté s’est rapproché de ces métiers, qui font pourtant tourner l’industrie artistique. Enquête...
L’Onda, organisme créé en 1973, a pour missions, conformément à l’article 5 de la loi algérienne sur les droits d’auteur : la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs ou de leurs ayants droit et des titulaires des droits voisins, ainsi que la protection sociale des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants. De surcroît, plusieurs lois et ordonnances assurent la protection de leurs productions artistiques. Membre depuis 1977 du réseau de la Cisac (Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs), cet organisme autosuffisant, indépendant du ministère de la Culture et des Arts, compte 15 000 adhérents, 449 100 œuvres musicales et 700 œuvres audiovisuelles enregistrées. Avec plus de 87 milliards de centimes reversés en droits d’auteur au profit de 4 785 artistes en 2016, 96 milliards de centimes rétribués en droits d’auteur à 4 932 bénéficiaires, 59 milliards de centimes en droits voisins pour l’année 2017, 50 millions de dinars au titre des répartitions des droits voisins pour l’exercice de l’année 2019, des revenus faramineux sont comptabilisés annuellement. Entre 2016 et 2017, l’Onda a par exemple brassé cinq milliards de dinars, révèle une source. Sur ce budget, l’office peut dépenser jusqu’à 30% en matière de frais de gestion. Tout le reste est destiné aux droits d’auteur et droits voisins. Beaucoup d’artistes ou leurs ayants droit vivent, et de manière très confortable de ces revenus, générés par les redevances payées par les “utilisateurs d’œuvres” que sont les radios, les télévisions, les festivals, les théâtres et même les restaurants, en sus de la redevance sur la copie privée (consommables numériques et appareils multimédia, flash disques, smartphones).
Pour les autres, réussir à vivre de son art relève du parcours du combattant. Pour pouvoir prétendre à la carte de l’Onda qui garantit la protection des droits d’auteur et droits voisins, tout artiste : chanteur, musicien, producteur, comédien, acteur, peintre…, doit présenter une attestation faisant foi de l’authenticité de son œuvre. Mais beaucoup de “vides juridiques”, “la malhonnêteté de certains éditeurs” et une inadaptation face à l’évolution rapide du secteur font de l’obtention de cette carte un obstacle.
Pour prétendre à ce précieux sésame, explique le producteur de musique Chérif Lahoubi, il faut attester d’un passage radio d’une des œuvres. Une condition tout à fait normale, exigée pour ouvrir droit aux rétributions reversées par l’Onda. Mais ce qui est “incohérent”, dira notre interlocuteur, “c’est de demander à l’artiste de faire passer, en premier lieu, son titre à la radio. Mais dans ce cas-là, martèle-il, on peut l’utiliser sans mon autorisation. Il faudrait donc qu’il soit déjà protégé. C’est paradoxal comme situation”. Et d’ajouter : “Il faudrait que ce soit la commission qui décide de l’attribution de cette carte, sur la base bien sûr des travaux réalisés par le demandeur. On peut protéger les œuvres sans passer par cela.” Dans un second temps, “en attendant de se voir délivrer le fameux sésame, l’œuvre a peut-être été diffusée et exploitée en dehors du cadre légal. Ce qui est préjudiciable pour l’artiste”, indique-t-il.
Autant le secteur musical reste le plus “consommé” qu’aucun autre et génère, par ricochet, des revenus colossaux, qui se comptent en dizaines de milliards de centimes, autant il reste le plus exposé aux vides juridiques et à l’indélicatesse de certains producteurs.
La première étape de ce circuit est l’enregistrement d’un album, financé le plus souvent par un producteur qui paye également le studio, le chanteur et les musiciens. Ces derniers sont payés autour de 25 000 DA chacun et par titre. Le chanteur quant à lui est payé selon sa notoriété, mais dans la plupart des cas il perçoit approximativement 200 000 DA. Une fois l’album enregistré, celui-ci devient la propriété du producteur. Certains producteurs ont aussi la casquette d’éditeur, dont le rôle est de gérer l’exploitation commerciale d’une œuvre musicale. Ils procèdent par la suite à la déclaration de l’album chez l’Onda et à l’achat des vignettes devant être apposées sur chaque album. Une fois sorti, et pour peu que la stratégie marketing ait fonctionné, le produit se retrouve diffusé à la radio ou à la télé. Les canaux diffusant le titre déclarent chaque passage sur leurs ondes ou leurs chaînes. Les rémunérations aux titres des droits d’auteur et droits voisins de chaque artiste sont calculées au prorata temporis au niveau de l’Onda. La notoriété de l’artiste ou son ancienneté ne sont pas pris en compte dans ce système, puisque c’est uniquement le nombre de minutes qu’accumule un titre par année qui déterminera les revenus de l’artiste. Même s’il est peu connu ou que son travail concerne uniquement la composition ou l’écriture, l’auteur, compositeur ou interprète peut confortablement vivre de sa musique, pourvu qu’elle tourne dans les médias audiovisuels. Le titre Lella Mira, du groupe Freeklane, a par exemple récolté 600 000 DA, la première année de sa sortie, révèle notre source.
Une fois la carte obtenue, la stabilité des revenus dépend du succès des œuvres de l’artiste. Mais pour certains, à l’image de ce célèbre groupe algérois, révèle son leader, les droits d’auteur perçus, qu’il dit être “minimes”, “sont réinvestis dans les projets musicaux (studio, enregistrement, clips), en plus de leur propre argent”. “C’est très loin de refléter les efforts qu’on fournit ou d’être suffisant pour arriver à faire de la musique et encore moins pour en vivre”, déplore-t-il. Et d’ajouter : “Ce ne sont pas les musiciens de variétés ou ceux qui se produisent sur scène qui sont le mieux rétribués. Ce sont parfois des artistes pas du tout connus, qui connaissent bien le système, qui sont les mieux rémunérés.”
Des artistes dans le flou
Selon notre interlocuteur, c’est l’incompréhension concernant le système des rétributions des droits d’auteur et droits voisins. Les grandes disparités entre artistes et même les aides versées durant la pandémie démotivent une grande partie des artistes, qui même affiliés, ayant une renommée et plusieurs albums à leur compte, n’arrivent pas à vivre de leur musique. S’agissant des aides versées durant la pandémie par exemple, le chanteur dit “n’avoir rien reçu”. “Nous avons déposé nos dossiers pour ouvrir droit à ces versements, mais personne ne sait comment ils ont décidé de les attribuer. Certains en ont bénéficié, beaucoup d’autres n’ont pas eu cette chance.” Et concernant la gestion des reversements, qui “se fait automatiquement en principe par un système informatique, qui comptabilise aussi le nombre de passages radio ou télé, les minutes de diffusion des œuvres, etc.”, le chanteur se demande “si c’est toujours le système qui déclare ou non. Comment cela se passe réellement. On n’a pas encore cette information”. Il avoue en outre que “les artistes ne connaissent pas leurs droits, à cause de cette opacité justement”. Et de rebondir : “C’est cela notre souci, c’est le flou avec lequel on doit vivre ; on ne peut même pas construire une stratégie artistique pour les années à venir quand on ne sait pas de quoi demain sera fait.”
Détenteur d’une carte délivrée par l’Onda avec son groupe, il estime qu’elle ne sert “au final qu’aux procédures administratives avec l’Onda”. Le budget de l’Onda est-il suffisant pour couvrir toutes les rémunérations dues aux artistes, surtout avec les deux années de pandémie ? Le souci serait-il plus de l’ordre des capacités financières de cet organisme que de la gestion ? Notre interlocuteur tranche : “Avec ce que peut gagner l’Onda, je ne crois pas. En principe l’artiste pourrait confortablement vivre des droits d’auteur. Mais avec ce qu’on nous verse, ça pousse beaucoup d’artistes à arrêter leur métier. Ça ne fait pas vivre. À part pour certains, ce sont des exceptions. Ce sont des gens qui ont des informations que nous ne détenons pas.” Cela est accentué, déclare le musicien, par le manque de “scènes, festivals, concerts qui pourraient contrebalancer le manque de revenus”. Pour sa part, le producteur Belaïd Amirouche, du studio Gosto, remet en question “le système de rétribution actuel”, qui “date, dira-t-il, de plusieurs années. Il est révolu”. Et de poursuivre : “L’Onda rétribue les droits actuellement selon le nombre d’exemplaires vendus (nombre de timbres) et je crois, comme tout le monde, qu’il n’y a plus de magasin de casettes ou de CD au niveau de tout le territoire national. Il y a de faux producteurs qui déclarent des millions d’exemplaires sur des albums fantôme, alors que les artistes payent eux-mêmes les frais d’enregistrement, les frais du timbre…”
Face à cette situation, quelles seraient les solutions pour mieux aider nos artistes, les accompagner et leur garantir des revenus stables, à même de les faire vivre ? Le chanteur martèle : “Il faudrait mettre des artistes aux postes-clés”, car “eux seuls pourraient comprendre ce qu’endure un autre artiste. Un administrateur ne pourra jamais comprendre les problèmes auxquels nous faisons face ni comment les régler”. En sus, il demande à ce que le fichier recensant les artistes sur tout le territoire national “soit assaini, pour distinguer les vrais artistes des pseudo-artistes”, dit-il. Aussi, après l’épreuve qu’a été la pandémie pour la majorité des artistes qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans revenu, “il faudrait créer un système et des stratégies pour faire face à ces situations à l’avenir”. Un autre point qu’il faudrait revoir, selon lui, c’est le fossé qui sépare les artistes et les institutions censées défendre leurs droits : “Il est important qu’un pont soit créé entre les artistes et eux. Un vrai pont, et non pas un bureau dans lequel on est reçu qui au final ne règle pas nos problèmes.”
YouTube, Deezer, Spotify… : le système D pour faire valoir ses droits
Les plateformes digitales comme Spotify, Deezer et autres YouTube brassent des revenus colossaux pour de nombreux artistes à travers le monde. Pour protéger les droits des artistes dont les œuvres sont diffusées sur le net, l’Onda avait procédé en 2014 à la signature d’un accord de partenariat devant permettre “aux auteurs, compositeurs et créateurs de musique algériens de bénéficier d’une juste rémunération au titre de la diffusion de leurs œuvres et prestations artistiques en Algérie”. Des progrès ont été faits depuis : les artistes touchent des redevances versées à l’Onda par le géant américain “au titre de l’utilisation des œuvres et prestations artistiques, diffusées sous forme de clips, sur sa plateforme YouTube”, mais cela reste dérisoire. Afin d’en bénéficier, il faut cependant, comme l’explique le musicien que nous avons interrogé, “avoir un compte à l’étranger et une carte Visa. En tant qu’artiste, on ne peut pas attendre éternellement, on cherche des solutions ailleurs, à travers des éditeurs ou des distributeurs tierces avec qui on partage nos droits qui ont des comptes à l’étranger pour pouvoir percevoir ces sommes-là, ce n’est pas énorme, car il faut avoir beaucoup de streaming, mais c’est toujours mieux que de ne rien percevoir”. La question du digital est aussi une problématique qui devient un frein pour nombre d’artistes. À ce titre, Belaïd Amirouche déclare que “toutes les plateformes numériques mondiales payent les redevances à l’entreprise de gestion de droits sauf pour l’Algérie”. Il faudrait que les responsables actuels “travaillent avec les artistes et producteurs algériens, les rassemblent et surtout protègent et revendiquent les droits générés par les plateformes”.
Des exploitants indélicats
Quand une œuvre musicale ou cinématographique passe à la radio ou à la télévision par exemple, des redevances sont reversées aux artistes dont les œuvres sont exploitées, du moins sur le papier. Dans la réalité, certaines chaînes ne respectent pas ce droit, protégé pourtant par la loi, comme le stipule l’article 143 de l’ordonnance n°03-05 du 19 juillet 2003, relative aux droits d’auteur et droits voisins. Une situation qui ne répond à aucune logique, estime Lahoubi, “compte tenu de l’accord passé entre l’Onda et certaines chaînes privées qui se doivent de respecter la propriété intellectuelle”. Beuaucoup d’artistes, entre comédiens et musiciens, se retrouvent lésés dans leurs droits et ce, depuis plusieurs années. Concernant les droits d’image, “l’EPTV serait la seule à reverser ces droits”. Dans d’autres cas, comme dans le domaine musical, les producteurs font signer des contrats aux artistes. Même s’il est auteur, compositeur et interprète, “le producteur peut toucher jusqu’à 50% des revenus avec lui”. Beaucoup d’artistes ont signé des contrats sans les lire ; ils se retrouvent au final pris au piège, et ne peuvent même pas faire valoir leurs droits, poursuit notre interlocuteur.
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Yasmine AZZOUZ