La ville de Tizi Ouzou vient de se doter d’une école de cinéma Informedia, pour le grand bonheur de nombreux jeunes comédiens, graines de cinéastes ou férus de cinéma qui veulent se lancer dans ce métier non sans acquérir un minimum d’encadrement et une formation appropriés. Ce nouvel espace de cinéma sera géré par Yazid Arab, en collaboration avec Latifa Lafer, maître de conférences en anthropologie à l’université de Tizi Ouzou. ce projet “privé” va beaucoup apporter au “public” puisqu’il permettra la création d’œuvres qui alimenteront le “Festival du film amazigh”, déficitaire en productions. Et pour en savoir plus sur ce 7e art qui agonise lui aussi, mais que certains férus tentent de sauver, Liberté s’est rapproché de Yazid Arab qui se livre aux lecteurs dans cet entretien.
Liberté : Pouvez-vous revenir pour nos lecteurs sur votre parcours et la création de cette école de cinéma à Tizi Ouzou ?
Yazid Arab : Je suis diplômé de l’école québécoise de cinéma Cinécours en scénarisation et réalisation, mais je dois dire que ce ne sont pas les diplômes qui sont importants, ni demandés, si on veut intégrer le milieu du cinéma ou participer à un concours. Ce sont plutôt les films et les productions réalisés, d’où la nécessité d’un travail sérieux et professionnel sur le terrain.
Mais pour réaliser cela, il est primordial, selon moi, de connaître les règles de base fondamentales à notre métier. Lors des master class que nous proposons au sein d’Informedia, nous aborderons toutes les étapes nécessaires à la création d’un film depuis l’écriture du synopsis et du scénario jusqu’à la post-production.
Le cadrage, la lumière, les angles de vue, la scène, les personnages, le langage, le dialogue… tout doit être bien étudié, et surtout répondre aux normes cinématographiques universelles requises. Mais cet aspect technique ne se fera pas sans aborder aussi l’histoire du cinéma algérien, ce qui permettra aux apprenants de mieux appréhender le contexte culturel dans lequel s’inscrit la pratique cinématographique en Algérie.
Justement, vous insistez souvent sur ces codes et règles à respecter…
Oui, j’y tiens, car c’est fondamental si on veut que notre production cinématographique évolue et dépasse nos frontières, si nous voulons que nos films participent à des festivals internationaux et que nous soyons plus et mieux distribués. Ce n’est pas normal que des films qui ont été subventionnés à coups de milliards par l’État ne soient pas capables de répondre à des normes internationales et se voient, de ce fait, rejetés lors de concours internationaux, puis jetés dans les tiroirs de l’administration qui croule sous la bureaucratie. Cette même bureaucratie qui étouffe la créativité de nos cinéastes, et de nos artistes d’une manière générale, sous une tonne de contraintes, de restrictions et d’obligations qui ont fini par en décourager plus d’un.
Vous imaginez une commission de lecture qui demande 11 copies de scénario ? Et que quand vous déposez votre dossier, plus personne ne vous donne de nouvelles ? Qui a décidé de qui et de quoi et selon quels critères ? Que dire d’une réglementation qui exige des autorisations à chaque fois que vous bougez avec votre caméra pour filmer un lieu ou une scène en extérieur ? Que vous n’avez pas le droit d’utiliser un drone pour filmer alors que c’est une technologie très performante et qui facilite énormément notre travail ?
Notre métier agonise et il a besoin de liberté pour (re)vivre. Le cinéma a besoin d’être repensé dans un cadre de libre créativité. Sans cela, il ne sortira pas de ce gouffre où on veut l’enterrer. Notre cinéma a aussi besoin d’être épaulé par de vrais professionnels qui le mettront sur les rails de l’universalité en lui en donnant tous les outils nécessaires, et non pas livré à des bureaucrates qui le noient sous leur interminable paperasse.
Quelles sont les productions qui vous ont marqué, et comment décririez-vous votre style cinématographique ?
J’ai toujours été féru de caméra et de cinéma. Et j’ai beaucoup suivi l’évolution du cinéma amazigh. Ayant effectué beaucoup de recherches à ce sujet, j’ai découvert énormément de choses qui m’ont fasciné pour certaines et déçu pour d’autres. Par exemple, le premier film de Abderrahmane Bouguermouh adapté du roman de Mouloud Mammeri La colline oubliée est à signaler. Il faut savoir que le scénario, proposé en 1968, a été refusé par la commission de lecture et privé de budget car il était écrit en langue berbère.
Il n’a pu être tourné qu’en 1997. Or, en 1969, un budget a été accordé à L’Opium et le bâton écrit en arabe, c’est dire… Mais pour revenir à la production en langue amazighe, je citerai La maison jaune de Amor Kakkar sorti en 2008 ; La montagne de Baya de Azzedine Meddour sorti en 1997 ; Fadhma n'Soumer de Belkacem Hadjadj, sorti en 2014…
Pour ce qui est de ma personne, moi, je fais le cinéma des petites gens. J’ai choisi de parler de ces citoyens lambda qui mènent leur vie loin des projecteurs mais que je veux mettre en lumière tant ils ont des choses à dire, à montrer et à nous apprendre. Par exemple, lors du Festival Racont’arts, ma caméra suit les organisateurs, les festivaliers et les villageois qui accueillent ces moments magiques et symboliques à la fois, pour en faire des moments de vie pérenne. J’ai réalisé quelques films, j’ai participé à des concours, j’ai obtenu des titres, mais mon vœu le plus cher est que le cinéma algérien soit un véritable “7e art” aux normes universelles qui dépasserait les frontières pour se donner à voir partout dans le monde…
Propos recueillis par : Samira Bendris-Oulebsir