Dans cet entretien, Mohamed El-Korso laisse entendre que le chemin reste encore long pour parvenir à une véritable réconciliation des mémoires.
Liberté : Comment réagissez-vous au rapport de Benjamin Stora sur la mémoire ?
Mohamed El-Korso : La France veut faire de la question des harkis un problème fondamental. Une espèce de nœud gordien entre les deux pays. En mettant l’accent sur les harkis, on essaie, en fait, de nous mettre, nous Algériens, en position d’“accusés”, en ce sens que si demain le dialogue des mémoires traîne et n’avance pas, l’alibi sera vite trouvé du côté français, en pointant du doigt la responsabilité de l’Algérie qui aura refusé de “faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie”, tel que le préconise le rapport Stora.
Remarquez que les médias français sont déjà en train de monter toute cette affaire en épingle, en disant que si ce dialogue des mémoires entre l’Algérie et la France bute sur un mur, ce sera à cause de la question des harkis. La démarche est, de ce point de vue, totalement piégée.
La question des harkis est-elle l’unique enjeu, selon vous ?
Dans le dossier de la mémoire, il y a plus important que le problème des harkis qui, du reste, est un problème franco-français. Les véritables enjeux sont ailleurs : il s’agit notamment de la question des crimes contre l’humanité, du traitement de la question des essais nucléaires, du problème du rapatriement des corps et des crânes d’Algériens encore en France, du problème des disparus ou encore de celui relatif aux archives. Il s’agit, en définitive, de toute notre mémoire et de notre patrimoine culturel qui doivent être discutés et soumis à débat.
Il y a également le patrimoine matériel, et là, je voudrais parler du problème des monuments et de toutes les pièces des sites historiques, de l’époque romaine à l’époque musulmane, qui ont été déplacés par les Français et qui font aujourd’hui la richesse des musées de France, et principalement du Louvre. À cela s’ajoute le problème de la “repentance”, des excuses officielles ou encore de la reconnaissance par la France de ses crimes.
Le chemin reste donc long…
Je pense que pour parvenir à un véritable dialogue sain et serein, capable de faire avancer les choses, il faudrait que la France reconnaisse de manière claire et franche qu’il y a eu crime contre l’humanité. Il s’agit pour elle de faire le même pas que l’Allemagne a fait envers la France, en reconnaissant ses crimes durant la Seconde Guerre mondiale. Je crois qu’il est dommageable que la France qui s’est excusée envers les juifs ne s’excuse pas auprès des Algériens.
Aussi, il faudrait que l’État algérien soit fort pour imposer son point de vue. Pour revenir d’ailleurs à la question des harkis, il faut rappeler, ici, que c’est un problème franco-français qui constitue, à ce jour, une plaie béante dans le corps de la cinquième République pour deux raisons : d’abord, c’est la France qui a empêché les harkis de venir en France, et quand ils sont quand même venus en France, ils ont été installés dans des camps de concentration qui avaient servi, pendant la Seconde Guerre mondiale, à “parquer” les juifs dans les conditions que chacun connaît.
Il a fallu attendre la fin des années 1980 et le début des années 1990 pour que la deuxième génération des harkis fasse bouger les lignes et que la France prenne conscience qu’à côté des Français vivaient d’autres Français déclassés et minorisés. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il y a eu par le passé, du temps de l’ancien président Chadli, et même plus tard, des harkis qui sont venus en Algérie, en catimini, avec bien sûr l’autorisation de l’État algérien, comme il y a eu également des harkis qui sont venus dans des délégations officielles, ou encore, et c’est un autre élément, des harkis qui sont restés ici. Cela pour dire que présenter les choses comme cela est, de mon point de vue, biaisé.
Propos recueillis par : Karim Benamar