Enfant de la balle, troubadour increvable, blagueur désinvolte et artiste humble, Saïd Hilmi était de la génération des Bachtarzi, Kelthoum, Sid-Ali Kouiret, Rouiched, Fatiha Berber, Amar Laskri, qui ont gravé en lettres d’or le nom du 4e art en Algérie.
La scène culturelle perd successivement quelques-uns de ses grands noms. Saïd Hilmi tire sa révérence à l’âge de 82 ans des suites du coronavirus, a rapporté l’APS mercredi. Évoquer le parcours de Saïd Hilmi, c’est revenir à l’âge d’or des arts et du théâtre de la première moitié du siècle dernier. Saïd Hilmi, de son vrai nom Brahimi, a à peine douze ans quand il entre dans le monde du théâtre radiophonique.
Enfant de la balle, troubadour increvable, blagueur désinvolte et artiste humble, il était de la génération des Bachtarzi, Kelthoum, Sid-Ali Kouiret, Rouiched, Fatiha Berber, Ali Abdoun, Amar Laskri, qui ont gravé en lettres d’or le nom du 4e art en Algérie.
Jusqu’au bout des ongles, et d’une moustache grisonnante qu’il sculptait machinalement avec ses doigts, Saïd Hilmi respirait la liberté, abhorrait le conformisme et l’idolâtrie et regrettait l’état dans lequel se trouvait la culture ces dernières années, empêtrée dans une bureaucratie et un népotisme mortifères. Du haut de ses quatre-vingt printemps, l’artiste voulait encore donner de sa personne pour l’art et la culture, notamment aux jeunes artistes qui se retrouvent sans perspectives.
À ceux-là, il envoyait un message d’espoir à chaque fois qu’il en avait l’occasion, conscient que l’époque dans laquelle il a évolué et celle d’aujourd’hui sont à l’extrémité l’une de l’autre, s’excusant presque d’avoir eu ces opportunités à une période où notre culture brillait à l’international.
Le théâtre, une affaire de famille
Né en 1939 à Tizi Ouzou, Saïd Hilmi commence très jeune dans le milieu des arts aux côtés de son frère Mohamed, d’abord en participant à nombre d'émissions radiophoniques pour enfants, dont celle qu'animait en kabyle Mme Lafarge. En 1952, il fait ses premiers pas au théâtre aux côtés de son frangin, sous la houlette de Mahieddine Bachtarzi.
Orphelin de mère à la naissance, c’est le quatrième art et ses figures féminines comme Kelthoum qui deviendront sa deuxième famille, son étoile providentielle. Évoquant lors d’une émission à la télévision ses débuts au théâtre aux côtés de l’icône du quatrième art national, il dira : “Au théâtre, quand une comédienne devait jouer le rôle de ma mère, je n’étais pas très à l’aise, car je n’ai pas connu la mienne. Je ne connaissais par la valeur d’une relation maternelle.” Et de poursuivre : “Une fois, je devais camper le rôle du fils aux côtés de Kelthoum. Elle m’a serré dans ses bras et m’a dit «Mon fils ! C’est au théâtre que j’ai mesuré le poids du mot ‘maman’.» Toutes les comédiennes avec qui j’ai joué m’ont beaucoup apporté.”
À la radio, il est aussi l’un des premiers animateurs de la Chaîne II, avec “Akardache”, une émission de dédicaces de chansons en langue kabyle.
À travers les ondes durant la guerre de libération, “il faisait passer des messages codés en direction de l'Armée de libération nationale (ALN) dans Sawt El-Bilad ou la Voix du Bled”, dira Hamimi Rabia, ancien journaliste à la télévision algérienne. C’est ainsi que “Si Saïd Rezzouk, directeur des émissions en langues arabe et kabyle (ELAK) et son adjoint en charge de la Chaîne kabyle, Si Ousrab Lhocine, avaient demandé discrètement à Saïd Hilmi d'introduire ces messages codés”. L’un d’eux était “Tcharak”. “Citer ce code collé à un nom de lieu voulait dire qu'une opération militaire allait se produire incessamment. C'étaient des informations et autres renseignements obtenus par Si Saïd Rezzouk dans le cadre de ses activités militantes et aussi par le chauffeur, un de ses proches parents”, continue l’ancien journaliste. Le cinéma brillera aussi grâce à son art et son talent.
Participant à plusieurs œuvres cinématographiques, le défunt a joué dans Zone interdite en 1974, Ali au pays des mirages de Mohamed Rachedi en 1979, Douar des femmes en 2005 de Mohamed Chouikh ou encore dans l'art dramatique algérien, aux côtés de grands artistes tels que Sid-Ali Kouiret, Fatiha Berber et Nouria, dans À prendre ou à laisser.
Connu et reconnu en milieu artistique pour sa passion pour son travail, son enthousiasme et son inquiétude pour le cinéma algérien, le regretté était en contact permanent avec les artistes et membre actif au sein de l’association Adwaa à la tête de laquelle il était désigné récemment président d’honneur. Une pluie d’hommages lui a par ailleurs été rendue à l’annonce de sa disparition.
L’écrivaine Rabia Djelti écrira : “Adieu l'artiste Saïd Hilmi. Le maître des planches. Tu répandais la joie de vivre et les rêves partout où tu allais. Repose en paix, puissions-nous avoir le courage de supporter ta disparition.” Ahmed Tessa évoquera pour sa part l’attachement de Hilmi à sa terre natale, qu’il n’a jamais vraiment quittée. “Il avait un attachement viscéral et un amour indéfectible à sa région natale. Chaque été, dans la rue principale d'Azeffoun, on le voit déambuler et discuter avec les gens. Homme affable et simple. Il va nous manquer. Repose en paix Saïd.”
Le dramaturge Omar Fetmouche consacrera un long message à son ami en ces termes : “Comme un troubadour contemporain Khouya Saïd trouvera toujours ses propres pistes artistiques pour marquer son passage et son itinéraire magique et merveilleux dans toutes les manifestations culturelles et artistiques. Cette longue et belle moustache qu’il triture à chaque fois avec fierté avec le bout de ses doigts, prendra de la rousseur avec la fumée du tabac mais garde une rigidité et une solidité des poils, qui confère à la splendeur du visage du poète toute la profondeur et la générosité du poète. Vous l’aurez compris, je parle de Da Saïd Hilmi, comédien indécrottable jusqu’aux dernières pulsations de ses veines. Nous n’oublierons jamais tes passages, ni l’odeur particulière de ton tabac, ni la douceur de tes yeux et surtout la grande générosité de ton cœur. Tu demeureras dans l’âme profonde de nos pensées. Socle incrusté dans la mémoire collective et affective. Je t’aime beaucoup mon cher ami. Akyerhem rebbi ayanazur nelherma. Repose en paix poète.”
Yasmine AZZOUZ