Reportage L’INSÉCURITÉ PLOMBE LA VIE AU PÔLE URBAIN AHMED-ZABANA D’ORAN

Dans le champ de mines de “la guillotine”

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Arezki M. Publié 15 Janvier 2022 à 21:55

© D. R.
© D. R.

Près de deux ans après l’attribution des premiers logements, ce conglomérat de béton demeure un chantier qui n’en finit pas. Dans cette  “ville-dortoir”, les occupants n’ont pas droit à la quiétude.

Le pôle urbain Ahmed-Zabana, conglomérat de béton fraîchement sorti de terre à la limite ouest de la ville d’Oran, cumule toutes les incommodités de l’urbanisation anarchique : cadre de vie désagréable dans des cités sans nom, déficit en équipements d’utilité publique, en aires de jeux et de loisirs, en espaces verts, en infrastructures sportives et culturelles, inconfort du transport en commun et, surtout, une insécurité croissante qui fait craindre le pire.

Ce labyrinthe de blocs en béton, enchevêtrés les uns dans les autres de telle manière qu’on trouve difficilement une adresse ou un accès, est un lieu déprimant, sans attrait, sans commerces, sans possibilité de trouver du travail… et sans repos pour ses habitants. Cet emmêlement d’immeubles construits dans la discontinuité urbaine de la ville est administrativement géré par la petite commune de Misserghine, qui ne dispose ni du budget nécessaire ni des moyens matériels et humains pour régir une agglomération de pas moins de 40 000 logements.

Pour de nombreux habitants, vivre dans cet alignement à perte de vue de petits immeubles est un calvaire au quotidien. Entre la perte de temps et d’argent dans les allers-retours quotidiens et éprouvants au travail vers Oran et ses périphéries, l’absence des crèches et autres garderies pour les enfants en bas âge, le manque des commerces de proximité, les perturbations fréquentes dans l’AEP, la prolifération des chiens errants, la progression de l’insécurité…, les occupants de ce pôle “urbain” vivent dans un stress permanent.

Près de deux ans après l’attribution des premiers logements, ce conglomérat de béton demeure un chantier qui n’en finit pas. Dans cette “ville-dortoir”, les occupants n’ont pas le droit à la quiétude. Et pour cause : nuisances perpétuelles des chantiers en cours pour la viabilisation et la construction de centaines de logements encore en souffrance, va-et-vient incessants des poids lourds et autres engins des travaux publics, poussière, vacarme des chantiers de réaménagement des appartements menés par des particuliers…, il n’y a ici aucun répit pour les habitants. 

L’autodéfense pour faire face à l’insécurité rampante
Le pôle urbain Ahmed-Zabana est une ville-dortoir où il ne fait pas bon vivre. Outre la dégradation du cadre de vie, les habitants de cette île de béton sont désemparés face à l’insécurité qui s’installe. Ils sont abandonnés dans des cités coupe-gorge sans protection sécuritaire et, surtout, sans couverture de la téléphonie mobile pour appeler les secours en cas de vol ou d’agression. Une situation qui encourage les agresseurs de tous bords à investir les lieux. Les voleurs sont de plus en plus audacieux et ne se cachent plus pour accomplir leurs méfaits. Ils opèrent de jour comme de nuit en s’attaquant aux habitants et à leurs véhicules, aux appartements vides ou occupés, aux parties communes des immeubles, aux équipements publics (postes transformateurs, canalisations en cuivre, compteurs d’eau…).

Les cambriolages des appartements et autres vols quotidiens plongent les habitants dans la terreur. “Des voleurs, qui avaient cru que mon appartement était inoccupé, ont essayé de s’y introduire par effraction durant la nuit. Heureusement, mes cris ont réveillé des voisins qui ont accouru, sinon les voleurs auraient pu s’en prendre à moi”, raconte Souraya, une jeune dame qui vit depuis dans un état de terreur permanent. La mésaventure de cette habitante, qui a bénéficié récemment d’un logement dans une nouvelle cité située dans la partie sud du pôle Ahmed-Zabana, n’est pas une exception.

Les cambriolages des appartements inoccupés sont enregistrés au quotidien. Les voleurs s’attaquent aux logements pour récupérer les fenêtres en PVC, les portes, les sanitaires (lavabos, bidets, baignoires, cuvettes de toilettes, éviers) et les canalisations en cuivre. Ces cambriolages répétitifs signalés dans la même zone et le mode opératoire commun autorisent à penser que ces vols en série seraient l’œuvre de bandes spécialisées qui alimentent apparemment un trafic lucratif.

Les pilleurs semblent bien informés et très bien équipés, ce qui ne laisse aucun doute sur le fait que ces vols n’ont pas été perpétrés par des cambrioleurs amateurs ou de passage. Les malfaiteurs, qui profitent de l’absence de la couverture de téléphonie mobile dans cette zone en raison de lenteurs administratives pour l’attribution des autorisations pour l’installation des antennes-relais, se sont enhardis à l’excès.

“Nous avons adressé de nombreuses requêtes aux services concernés. Les terrains devant accueillir ces antennes-relais sont désignés, mais les opérateurs de la téléphonie ne peuvent lancer les travaux sans les autorisations administratives”, regrettent des délégués des habitants, qui ajoutent que la téléphonie mobile est désormais une question de vie ou de mort face à la progression de l’insécurité.

Terre promise pour les voleurs
Le pôle Ahmed-Zabana est ainsi une terre promise pour les voleurs de tous bords. Chacun sa spécialité et tous y trouvent leur compte. Les pilleurs de cuivre sont les plus redoutés par les habitants. Ces voleurs professionnels s’attaquent aux installations électriques et de gaz de ville, laissant des centaines de foyers dans le noir et le froid glacial de cette saison hivernale.

Il y a à peine quelques jours, ces pilleurs de cuivre ont mené une vraie razzia dans les nouvelles cités attribuées récemment, emportant tout sur leur passage : détendeurs de gaz, canalisations et câbles en cuivre, installations des postes transformateurs, etc. Ils avaient réussi à s’introduire par effraction à l’intérieur des immeubles et des postes transformateurs, profitant du déficit en gardiennage pour accomplir leurs vols, entraînant de graves dommages au réseau Sonelgaz et à des centaines d’abonnés recasés dans cette zone livrée à l’insécurité totale.

Plusieurs blocs ont été visités par les voleurs qui ont réussi à arracher les détendeurs de gaz de ville, des appareils indispensables pour sécuriser le réseau de gaz en cas de fuite ou de haute pression. Les services techniques de Sonelgaz ont ainsi recensé, au total, plus de 50 cas de vol de câbles moyenne tension dans trois sites (2000-Logements, HPC-41 et 1000-Logements Atlas) et plusieurs agressions des postes transformateurs et des installations du réseau de gaz de ville. 

Plusieurs plaintes ont été déposées contre X et des enquêtes sont en cours pour élucider les circonstances de ces vols à répétition, mais les habitants, qui ont fini par perdre patience, ont décidé de prendre en main leur destinée. Ils organisent ainsi leur propre défense pour dissuader les pilleurs de cuivre et les agresseurs.

Des groupes d’autodéfense s’organisent pour prêter main-forte aux gardiens de certains sites et, déjà, ils ont réussi à déjouer plusieurs tentatives de vol ciblant des équipements d’utilité publique et les immeubles. 

Des voleurs ont également été appréhendés en flagrant délit par les habitants qui les ont remis à la Gendarmerie nationale. Il y a quelques jours seulement, des gardiens de l’îlot 8 (Atlas), soutenus par des habitants, ont arrêté un voleur à l’intérieur d’un poste transformateur. Ses complices, effrayés par une foule en colère et armée de gourdins, ont pris la fuite de peur d’être lynchés. Les habitants, excédés par les vols à répétition, appellent à se faire justice, et le pire peut désormais survenir à n’importe quel moment. 

Amoncellements d’ordures
Outre l’insécurité croissante, les délégués des habitants se plaignent des défaillances de l’éclairage public dans les nouvelles cités de la zone sud de ce pôle, en particulier dans les cités 2000 et 1000 (Atlas). Ils soutiennent que ces défaillances sont une conséquence des malfaçons et du bâclage des travaux confiés à des entrepreneurs qui manquent, selon leurs propos, de compétence et de qualifications. 

L’éclairage public défaillant contraint les habitants à se terrer dans leur domicile dès la tombée de la nuit. Les habitants qui s’aventurent dehors la nuit sont rares et les déplacements sont limités à partir de la nuit tombée par crainte de faire de mauvaises rencontres. 

Les représentants des habitants regrettent également les perturbations dans la collecte des ordures ménagères. Le pôle urbain croule sous les déchets domestiques et les débarras de chantiers. La petite commune de Misserghine est dépassée et, en dépit des efforts de l’exécutif communal, ne parvient plus à faire face à la prolifération des tas d’ordures ménagères qui jonchent le sol dans plusieurs coins et recoins de ce pôle, pompeusement baptisé par les autorités locales “ville intelligente”. 

Les amoncellements des ordures empoisonnent la vie des habitants. Les débarras de chantiers provenant souvent de travaux menés par des particuliers pour le réaménagement de leurs appartements sont un autre souci pour les responsables de cette commune. Des déblais et autres débarras de déchets sont déversés sur les trottoirs par des particuliers qui veulent économiser les frais du transport. Les services techniques de la commune de Misserghine mènent régulièrement des opérations d’enlèvement, mais ils se trouvent aujourd’hui dépassés par l’ampleur de ce phénomène.

Les malfaçons constatées à l’œil nu dans les travaux de maçonnerie, de plomberie, de menuiserie et de peinture dans les logements location-vente du programme AADL 2 ont contraint de nombreux bénéficiaires à entreprendre des chantiers de réaménagement de leurs appartements. “J’ai déboursé pas moins de 250 millions de centimes pour le réaménagement de mon F4.

Les travaux de construction étaient bâclés, particulièrement le réseau électrique, la plomberie et le revêtement des murs”, témoigne Mahmoud, un habitant qui a récemment bénéficié d’un logement. Hichem, un autre habitant relogé dans la cité 3000 (Atlas), exprime son profond désarroi : “Nous avons patienté près de huit ans pour avoir nos logements. Mais notre joie a été de courte durée. Nous sommes aujourd’hui abandonnés au milieu de nulle part, livrés sans défense à des bandes de pilleurs et d’agresseurs. Nous vivons dans la peur pour nos enfants, pour nos biens et pour nos vies.” 

Ce pôle urbain, baptisé au nom du célèbre martyr de la guillotine, est finalement un lieu déprimant où se concentrent tous les inconvénients d’une urbanisation anarchique. Le projet de “ville intelligente” tant attendu par ses habitants n’a pas tenu ses promesses. “Nous avons, certes, bénéficié d’un logement, mais à quel coût ?” s’interrogent les délégués des habitants.
 

Par : AREZKI M.

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