Par : BEN MOHAMED
POÈTE
“Serions-nous à ce point amnésiques, pour ne pas garder en mémoire que ce sont des islamistes, sous la direction de Mustapha Bouyali (1982-1987), qui avaient déjà tenté la prise du pouvoir par les armes ? Que ce sont bien des islamistes qui avaient attaqué la caserne de Guemar (novembre 1991) ? Que c’étaient bien des islamistes qui manifestaient à Alger en mai/juin 1991, avec ce slogan qui affirmait fortement leur volonté de prendre le pouvoir ‘Par les armes ou par les urnes’.”
De curieux débats et de fallacieuses idées se sont mêlés à la marche de cette merveilleuse Révolution du sourire, depuis qu’elle a repris son cours après une année de confinement imposé par la Covid-19.
Ces débats posent le problème du courant islamiste et de sa participation à la solution de cette crise multidimensionnelle à laquelle notre pays fait face depuis bien longtemps déjà. Quant aux idées, ce sont celles qui ont commencé à se faire jour dans des slogans intrus, introduits par certains marcheurs bien ou mal intentionnés.
Si les islamistes ne sont pas très visibles comme le prétendent certaines voix, ils sont néanmoins bien en embuscade comme à leur habitude. Ils ont toujours été maîtres de toutes les techniques de récupération des idées d’opposition, du désespoir de la population et des mouvements de révoltes porteurs d’espoirs. Même quand ils sont partie prenante d’un pouvoir contesté par tous, les islamistes s’arrangent pour garder un pied dans sa sphère tout en mettant un autre pied dans celle de l’opposition.
“Manger à tous les râteliers” ! C’est ce qui se passe en Algérie.
Ils ont conquis une très large place au sein de tous les pouvoirs qui se sont succédé dans le pays. Progressivement, ils ont réussi à imposer leur idéologie dans plusieurs secteurs névralgiques : enseignement, médias lourds, justice, services de sécurité… Mais ils ne se contentent pas de cela. Ils se dispersent dans les partis de l’alliance présidentielle et ils n’hésitent pas à infiltrer même les vrais partis de l’opposition démocratique.
Tout cela ne cesse de m’intriguer. Alors, je m’interroge et je me surprends à regarder dans le rétroviseur de la réalité historique, à consulter l’évolution du monde actuel, à observer la situation des pays du monde islamique…
Peut-on imaginer que des islamistes puissent faire partie de la solution alors qu’ils sont à l’origine d’une grosse partie du problème ? Ils en sont même la principale entrave, puisqu’ils n’acceptent aucune solution politique qui ne passerait pas sous leurs fourches Caudines.
Pourquoi introduire des idées clivantes dans un mouvement qui était fort jusque-là, justement par son caractère unitaire et pacifique ?
Il est vrai qu’on peut toujours chercher une solution dans l’Islam, mais là aussi, il se pose une autre question essentielle. Chercher oui, mais dans quel Islam et chez quels musulmans ? Dans quel pays musulman est-il possible de trouver un modèle d’Islam pouvant nous offrir des solutions acceptables par tous ? Est-ce chez les sunnites, les wahhabites, les chiites, ou je ne sais qui encore ?
Soyons sérieux et réalistes, et regardons objectivement du côté de tous les pays musulmans, qu’ils soient islamistes ou non, et essayons de trouver un peuple heureux, vivant dignement sa citoyenneté et spirituellement sa religion. Aucun. Essayons encore de dénicher un modèle d’Islam, capable de nous projeter dans le XXIe siècle en favorisant par exemple la recherche scientifique et technique à même de nous mener vers une véritable indépendance économique, un réel bien-être social et un joyeux épanouissement culturel.
En somme, existe-t-il un Islam susceptible de nous offrir les joies de vivre d’ici-bas au lieu de nous promettre un avenir dans l’inconnu de l’au-delà ?
De toutes les façons, si ce modèle de pays ou d’Islam existait, on l’aurait su depuis longtemps déjà, car il aurait été le refuge privilégié des islamistes eux-mêmes qui seraient entrés en dissidence avec l’Islam de leurs dirigeants. Ils n’iraient pas mendier un asile politique avec les avantages sociaux qui vont avec, dans des “pays d’impies” qu’ils continuent d’accuser à longueur de prêches, de tous les malheurs de l’Humanité.
Comment peut-on croire à une vie paisible avec des islamistes, quand on constate que dans le passé, comme dans le présent, il y a autant d’Islams qu’il y a de musulmans ? Est-on à ce point aveugle pour ne pas voir que même entre islamistes, le courant ne passe pas ? Ils s’entretuent. Pire encore : même quand le courant passe, c’est seulement pour une période bien limitée par leur soif du pouvoir. Pour couronner le tout, le courant ne passe pas entre les courants et tout le monde est au courant.
Surtout, ne pensez pas que cela est anormal.
Au contraire, il ne peut en être autrement, car chaque musulman, chaque courant islamique, se considère comme détenteur unique et exclusif de la vérité divine. Chacun se croit gardien d’un Islam plus authentique que celui des autres. Il est surtout seul et légitime porteur d’un Islam auquel il faut se soumettre sans discussion.
Fatalement, tout cela devient politique, l’Islam du plus fort s’impose et impose.
Cependant, les expériences historiques nous ont suffisamment enseigné qu’une politique faite à la sauce religieuse de domination, finit toujours par réveiller des conflits qui se soldent par des massacres, des destructions, des divisions, des complots, des revirements, des pertes humaines et matérielles, des veuves, des orphelins, des haines, des traumatismes… Tout cela s’ajoute au développement de l’ignorance et au sous-développement économique, culturel et social. Pire encore, toutes ces dérives sont menées par des charlatans, des nihilistes, des fanatiques, des fatalistes, des crétins qui se réclament de l’Islam. Il y a là quelque chose de bizarre, de trompeur, de ruineux et surtout de… dangereux pour tous.
Entre Islam de la sagesse et celui de la Fitna
Il est ainsi clair que l’islamisme n’ouvre qu’une seule et unique voie, celle de la Fitna ; cette discorde dont tous les musulmans s’accordent pourtant à dire, que… l’Islam la condamne. Mais avec ces gens-là, on n’est pas à un paradoxe près.
C’est par ces pratiques que la religion, qui est censée régir les rapports entre l’Être et son Créateur, a été pervertie par la politique qui, elle, vise avant tout, à en faire un moyen de pouvoir d’un citoyen sur un autre, d’un clan sur un autre et surtout, d’une minorité sur une majorité et d’une mauvaise foi sur une bonne foi.
Quel peuple maître de son destin, sacrifierait une vie sous le règne d’une sagesse nourrie de savoir, se mettrait sous le joug d’un islamisme de violence, nourrie d’ignorance ?
C’est pour ces raisons et bien d’autres encore que remettre les clés de la Maison Algérie à des islamistes ne serait qu’un acte de haute trahison par lequel on se déclarerait complice des criminels, responsables de toutes les victimes et de tous les dégâts de la décennie noire.
Comment peut-on purger notre mémoire de cette lourde et triste période ?
Après le lourd bilan de ces années noires, comment peut-on encore écouter ces discours mystificateurs qui essaient de travestir l’histoire afin de disculper les coupables ou de minimiser leurs actes criminels ?
La technique est toujours la même. Chaque fois que l’on évoque les souvenirs de cette tragédie, on nous réplique que seul en est responsable l’arrêt du processus électoral du 26 décembre 1991 qui allait confier la majorité parlementaire aux islamistes.
Mais, serions-nous à ce point amnésiques, pour ne pas garder en mémoire que ce sont des islamistes, sous la direction de Mustapha Bouyali (1982-1987), qui avaient déjà tenté la prise du pouvoir par les armes ? Que ce sont bien des islamistes qui avaient attaqué la caserne de Guemar (novembre 1991) ? Que c’étaient bien des islamistes qui manifestaient à Alger en mai/juin 1991, avec ce slogan qui affirmait fortement leur volonté de prendre le pouvoir “Par les armes ou par les urnes” comme vient de nous le rappeler dans une contribution au journal Liberté, Arezki Aït Larbi, ce militant de la première heure des Droits humains.
Si dans les marches citoyennes d’aujourd’hui, certains islamistes appellent rarement et du bout des lèvres, à la démocratie et à un État civil et non militaire, je rappelle que les manifestants de l’année 1990 avaient des slogans plus conformes à leurs objectifs. A l’époque, ils avaient au moins l’honnêteté d’être clairs. Ils se déclaraient pour un “État islamique”, pour une Algérie islamique “pour laquelle je vis et pour laquelle je meurs”, qui n’avait besoin “ni de Charte, ni de Constitution”, donc qui n’aurait eu que la Chariâ, dictée par Abassi Madani, qui aurait eu pour soutien “l’armée et le peuple”.
Alors que le vrai peuple algérien se plaint depuis 1962, que notre armée ne cesse de protéger le pouvoir au lieu de protéger l’Etat et le pays, les islamistes appelaient plutôt à la continuité de cette dérive totalitaire dont ils souhaitent toujours bénéficier.
Nous voyons bien que la violence a été dans le programme des islamistes de tous bords et depuis bien longtemps déjà. En attendant leur heure, ils avaient, dès l’indépendance, commencé à envahir les terrains où ils ont commencé à semer les graines de leur violence. Pour ce faire, ils ont progressivement infiltré la majorité des institutions de l’État en commençant par l’École, les médias lourds, la justice et même, à différents degrés, tous les services de sécurité. Il semblerait même que dans les années 80 déjà, un groupe de généraux aurait demandé à Chadli d’instaurer une République islamique.
Cependant, en dépit de toute l’étendue des espaces conquis au sein du système, ils ont toujours été convaincus qu’un pouvoir qui se maintient par la force ne peut être balayé que par la force.
Ainsi, il est clair que chez les islamistes, l’islamisme, avec la violence qui l’accompagne, n’est pas seulement une idéologie, mais c’est une culture foncièrement anti-démocratique.
A partir de cette réalité douloureusement vécue en Algérie et ailleurs, quelle légitimité peut-on accorder à toutes ces élections remportées par les islamistes ?
Peut-on imaginer que les islamistes d’Algérie pourraient se passer de ces malabars barbus qu’ils ont toujours mobilisés pour apostropher les électeurs dès l’entrée les bureaux de vote ? Il se trouve que la grande majorité des électeurs ignorent le devoir civique, mais ils votent par peur de l’enfer de l’au-delà et surtout de l’enfer de nos “boureaucrates”. Ils ignorent l’importance de leurs voix et ils ont peur de perdre leurs maigres retraites. Chaque fois qu’ils bénéficient d’un droit, ils le considèrent comme une faveur du pouvoir politique. Pour eux, entamer une démarche pour l’obtention d’un quelconque papier administratif relève souvent d’un véritable parcours du combattant surtout dans un pays comme le nôtre, aussi demandeur de paperasses. Enfin, il y a tous ces gens crédules qui pensent que Dieu est naturellement islamiste et qu’il s’est mis du côté des “siens”. En conséquence, il n’attend que leur vote pour les récompenser ici-bas. Bien plus, il les aiderait sûrement à se débarrasser d’un pouvoir vomis par tout ce peuple tant humilié, qui rêve depuis bien longtemps, d’indépendance, de paix, de justice et de bien-être.
C’est donc tout ce monde aveuglé par une foi naïve, qui était accueilli et accompagné jusqu’à l’isoloir pour qu’il mette dans l’urne, le bulletin magique du “parti de Dieu et du paradis”.
L’autre catégorie d’électeurs qui s’est déplacée pour leur accorder ses voix, est constituée de ces citoyens qui étaient prêts à voter pour le diable en personne, pourvu qu’il les débarrasse du pouvoir en place. Il s’agit là plus d’un vote sanction que d’un vote d’adhésion. C’est une réaction parfaitement compréhensible dans un pays où l’islamisme n’avait jamais été étudié et encore moins remis en question. Beaucoup de gens connaissaient la partie émergente de l’iceberg islamiste opposé au pouvoir, mais peu de gens savent que sa partie cachée au sein du pouvoir était plus importante et bien active.
Ouvrons les yeux sur le monde et essayons de trouver un pays islamiste ou même seulement islamique, qui serait un modèle de démocratie islamique ; un pays où il y aurait, de temps à autre, une alternance au pouvoir. Ce pays-là n’existe pas. Tous les chefs d’État musulmans ne quittent leur fauteuil que pour le cercueil, la prison ou l’exil.
Voilà ce qu’est la démocratie à la sauce islamiste.