L’Actualité Pr M’Sabah Djamel Louahem

“La luxation congénitale de la hanche, un véritable problème de santé publique”

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Faouzi SENOUSSAOUI Publié 27 Janvier 2022 à 09:48

© D.R
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Dans cet entretien, le professeur M’Sabah Djamel Louahem, du département de chirurgie pédiatrique (service de chirurgie orthopédique) de l’hôpital Lapeyronie, (CHU de Montpellier, France) évoque la luxation congénitale de la hanche (LCH), une des pathologies orthopédiques pédiatriques constituant un véritable problème de santé publique. Référent régional en Languedoc-Roussillon dans la prise en charge de plusieurs pathologies dont les malformations congénitales des membres, à savoir la LCH, le pied bot varus équin congénital (PBVE) et autres malformations congénitales (déformations congénitales et acquises des membres), il nous livre son expérience et les stratégies à adopter pour une meilleure prise en charge de la pathologie.

Liberté : Quelles sont les pathologies orthopédiques pédiatriques les plus préoccupantes ?

Pr Djamel Louahem : Les pathologies les plus préoccupantes en orthopédie pédiatrique sont la luxation congénitale de hanche (LCH), le pied bot varus équin idiopathique (PBVE) et la scoliose idiopathique, qui occupent le premier plan. Diagnostiquées tardivement, leur traitement est plus complexe, grevé souvent de complications sévèresn d’où le rôle important de la prévention dans la transformation radicale de la prise en charge en reléguant la chirurgie au second plan d’une part et du pronostic d’autre part. 
En effet, la prévention doit constituer la priorité des priorités. La précocité du dépistage permet une prise en charge simple et un meilleur résultat final. À cet effet, il faut faire intervenir tous les acteurs de la santé (médecins généralistes, médecins scolaires, pédiatres, radiologues pédiatres, médecins physiques, rééducateurs et chirurgiens orthopédistes pédiatres). 
L’essor de l’informatique et de l’imagerie avec les reconstructions 3D (échographie, scanner, IRM, EOS) a indéniablement aidé et facilité les politiques de prévention, renforcées par l’apport du diagnostic anténatal.

Quel est l’objectif d’un dépistage précoce ? 

L’objectif et la réussite d’un dépistage précoce est d’instaurer une prise en charge thérapeutique la plus simple, non invasive et peu onéreuse. En France, les vastes campagnes nationales de prévention menées depuis trente années par la société savante d’orthopédie pédiatrique (Sofcot et Sofop), avec le soutien de la haute autorité de santé, ont permis d’établir des recommandations de bonnes pratiques comme dans beaucoup de pays européens et d’Amérique. Ces pathologies, par leur fréquence, peuvent poser un réel problème de santé publique en l’absence de politique de prévention. La prévention nécessite au préalable des études épidémiologiques avec une parfaite connaissance des données démographiques, géographiques et sociologiques de chaque région puis à l’échelle nationale. Une politique de prévention rigoureuse doit être définie par la société de chirurgie orthopédique pédiatrique, sous l’égide du ministère de la Santé, comme dans beaucoup de pays développés où les stratégies de prévention ont prouvé leur efficacité. Des recommandations nationales spécifiques pourront être ainsi dégagées et appliquées rigoureusement.

Qu’en est-il de la luxation congénitale de la hanche ?

La luxation congénitale de hanche ou maladie luxante est une anomalie de développement de la hanche avec instabilité (mobilité anormale entre le bassin et le fémur) survenant au cours du dernier trimestre de la grossesse. L’hypothèse d’une position anormale intra-utérine est la plus admise. La LCH peut être uni ou bilatérale. Elle regroupe des entités différentes : la dysplasie de la cotyle où la tête fémorale est en place dans le cotyle avec un défaut de couverture de la tête fémorale ; la subluxation où la tête fémorale a perdu partiellement contact avec la cavité cotyloïdienne ; la hanche luxable où la tête fémorale peut sortir de la cavité cotyloïdienne lors de certaines manœuvres, mais reste spontanément dans la cavité cotyloïdienne ; la luxation où la tête fémorale est sortie complètement de la cavité cotyloïdienne.

Quelles sont les conséquences d’une LCH ? Quelle est sa fréquence ?

Non traitée à temps, la LCH entraîne un handicap fonctionnel majeur : boiterie, limitation de la mobilité et arthrose précoce, invalidante à l’âge adulte. L’échographie dynamique – examen simple, non agressif et peu coûteux – a permis de démembrer cette pathologie. La classification échographique de Graf, la plus utilisée dans le monde, est complexe. Nous utilisons celle de Couture de l’école de radiologie pédiatrique de Montpellier, plus simple et pratique dans le choix thérapeutique.
La fréquence de la LCH varie de 2 à 20 pour 1000 naissances selon les pays. En France, elle représente 6 pour 1000 naissances. La prévention de la LCH reste une priorité absolue. Dans notre région du Languedoc-Roussillon avec comme centre tertiaire le CHU de Montpellier, les résultats de notre enquête épidémiologique sur 20 années a fait ressortir les facteurs majeurs de hanche à risque : les filles sont 6 fois plus atteinte que le garçon, la position siège dans l’utérus, les antécédents familiaux de LCH, la primiparité, le gros poids de naissance ou macrosomie, la gémellité. Une LCH sur 35 réunit la situation : siège et fille. 
La LCH à la naissance est souvent associée à des anomalies positionnelles ou syndrome postural qui imposent un examen systématique de la hanche : torticolis, déformation du pied (metatarsus adductus), pied supinatus, du genou (genu-recurvatum) ou du crane (plagiocéphalie).

Comment peut-on prévenir une LCH ?

La prévention de la LCH est une priorité absolue impliquant systématiquement un examen clinique néonatal obligatoire et répété à chaque consultation pédiatrique pendant la première année de la vie. Le diagnostic précoce ira à la recherche de signes cliniques majeurs évocateurs : asymétrie des plis fessiers ; limitation de l’abduction de hanche ; signe de Galeazzi (décalage des genoux fléchis à 90°) ; instabilité de la hanche par la manœuvre d’Ortolani ou celle de Barlow démasquant une hanche soit luxable réductible, soit luxée réductible ou irréductible ; asymétrie du bassin. 
Toute hanche suspecte impose la réalisation d’une échographie dynamique pour confirmer le diagnostic. Elle doit se faire impérativement et au plus tard au cours du premier mois de la vie. Le traitement sera précoce avec des moyens simples et peu onéreux : langeage en abduction pour les hanches dysplasiques, les subluxations et les hanches luxables ou un harnais de Pavlik pour les hanches luxées réductibles. 
La normalisation et la stabilisation de la hanche sur le plan clinique et échographique est en général de règle dans des délais courts. Dans notre expérience, plus de 90% des hanches luxées ou luxables sont traitées avant l’âge de 3 mois. Les hanches luxées de découverte tardive (après l’âge de 6 mois) sont devenues exceptionnelles. Les indications chirurgicales, agressives pour une hanche en croissance, ont nettement reculé et ne dépassent 1%.
 
Qui est responsable du dépistage de la LCH et à partir de quel âge doit-on recourir à la radiographie ? A votre avis, quelles sont les actions à mener pour réussir la prévention ?

Le dépistage de la LCH est une obligation médico-légale. L’examen clinique de tout nouveau-né est obligatoire et capital par le pédiatre avant la sortie de la maternité et doit être répété. Le nouveau-né doit être impérativement et précocement adressé au chirurgien orthopédiste pédiatre pour la prise en charge et le suivi clinique et échographique. 
La radiographie des hanches n’a pas de place avant l’âge de 4 mois.
La prévention est une obsession continue dans le temps. Son efficacité passe en premier par une étape primordiale pédagogique où le rôle et la responsabilité du chirurgien orthopédique pédiatre constituent la clé de réussite avec le support de tous les acteurs du dépistage : sages-femmes, pédiatres, médecins généralistes, radiologues et chirurgiens pédiatriques. 
Des actions pédagogiques concrètes et répétées doivent mises en place : diffusion large d’un livret de dépistage complétant le carnet de santé, vidéos, affiches imagées des critères cliniques majeurs et mineurs dans les maternités, les PMI, les cabinets des médecins et des EPU (enseignements post-universitaires) régionaux et nationaux, théoriques et pratiques. 
En France, la conférence de consensus de 1991 a proposé une échographie à un mois de la vie en présence de signes cliniques ou de signes à risque. Dans les maternités de Montpellier, elle est réalisée dès les premiers jours de la naissance en partant du principe : diagnostic précoce - traitement précoce. Pour les autres départements de notre région, toute hanche suspecte chez un nouveau-né nous est adressée sans rendez-vous en consultation et prise en charge immédiatement.
La prévention reste le meilleur traitement. Il est reconnu que son efficacité doit passer au préalable par une enquête épidémiologique rigoureuse et ensuite impliquer la responsabilité des chirurgiens orthopédistes pédiatres et la société savante de chirurgie orthopédique pédiatrique, avec le soutien des hautes autorités de santé. Une surveillance étroite et annuelle des étapes du dépistage est de règle. 
Une stratégie de prévention avec toutes les recommandations de bonne conduite et de prise en charge précoce, plus simple est la seule garante de la santé et l’avenir de ces enfants, futures élites du pays.

 

Entretien réalisé par : Faouzi SENOUSSAOUI

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