Il n’y a pas que dans le pays où la disparition du journal Liberté suscite un séisme. À l’étranger, la nouvelle a tonné comme une bombe. En Europe, en Amérique, partout où nos concitoyens ont élu domicile depuis l’indépendance, en passant par la décennie noire, et jusqu’aux étudiant-e-s arrivés ces derniers temps. Des appels de tout le globe fusent entre Algériens de la diaspora. Des “que peut-on faire pour sauver ce journal ?” commandent les discussions. “Pourquoi ?”, car l’incompréhension domine.
Tout le monde lisait Liberté, discutait des points de vue qui s’y exprimaient, s’échangeaient et partageaient ses liens, guettaient les articles de ses chroniqueurs audacieux. Des plumes qu’ils adoraient critiquer, mais qu’ils n’auraient manqué pour rien au monde. Liberté constituait un lien, un intermédiaire entre Algériens de l’étranger et ceux du pays. Ils retrouvaient les articles et contributions de leurs sociologues, économistes, écrivain-e-s, politologues, et grands académiciens installés en Occident ou au pays. Ce territoire intermédiaire offrait la possibilité d’un dialogue commun. Un lieu, comme il en manque cruellement où aborder la question démocratique, identitaire, égalitaire, mémorielle, religieuse et linguistique trouvait place et débat. Bref, Liberté présentait l’espoir qu’une autre Algérie était possible.
Une Algérie capable de vaincre les obscurantistes et rassembleuse de ses forces créatrices de par le monde. Avec une possibilité d’exposer franchement ses opinions ; une franchise et un parler sincères chèrement payés, faut-il encore le rappeler, par le sacrifice du sang et des libertés des meilleurs d’entre nous. Oui la diaspora, celle soucieuse du droit et des libertés, est sous le choc parce qu’une voie, un canal qui la connectait au pays vient d’être brutalement rompu. Comme un mur qui s’est soudain dressé pour nous priver de nous informer et d’apporter notre concours et nos expertises à notre pays. C’est nous exiler deux fois, nous ligoter les poings et la raison pour nous empêcher de contribuer à l’effort de lutte contre la tentation absolue du mal totalitaire. De défendre notre pays contre le tsunami réactionnaire et bigot qui menace de l’engloutir pour des générations.
Liberté est un grand quotidien francophone. Un lieu de diversité culturelle et de pensée. L’un des rares endroits où l’altérité trouve encore écho. C’est un espace d’échange et de réflexion entre les deux rives. Un lieu animé par des intellectuels de toutes origines, auxquels, peu de médias algériens aujourd’hui, accordent la moindre écoute. C’est le point de vue d’une Algérie ouverte sur le monde, assoiffée de ses sciences et progrès. Une Algérie méditerranéenne, qui dispose des ressources humaines nécessaires pour s’imposer comme un acteur de ce bassin, enrichi de ses apports civilisationnels et historiques.
Nous ne sommes les restes de personne, mais la continuité de notre glorieux passé que d’aucuns essaient d’atomiser pour mieux nous perdre. Nous sommes, en tant que diaspora, les héritiers de nos valeureux combattants et des amis solidaires de leur cause, qui ont contribué à l’indépendance de l’Algérie. Que serait-il advenu de la révolution si l’immigration s’était coupée du pays et n’avait donc pas pu payer un lourd tribut à son émancipation du colonialisme ? Le sacrifice du 17 Octobre, les valises d’argent remplies des deniers des petits ouvriers algériens vivant dans des conditions effroyables. Du pain arraché des bouches de leurs enfants pour soutenir la lutte du pays... La mobilisation des grands intellectuels français de l’hexagone pour notre cause, s’est faite parce que des Algériens vivant en France y ont œuvré sans relâche. Les malheurs qui ont frappé le pays ces dernières années – tremblements de terre, inondations, incendies, pandémie – n’est-ce pas que les Algériens de l’étranger ont toujours exprimé leur solidarité morale et matérielle ? Sans parler des prix et des distinctions décrochés par nos ressortissants qui font la fierté du pays sur la scène mondiale. Alors qu’on nous prive aujourd’hui d’un espace d’information et d’expression, pour mieux nous livrer à je ne sais quelle hérésie abêtissante médiatique, est une déloyauté à la mémoire de notre révolution. Et pas que. On nous claque durement la porte au nez. Comme si nous étions des citoyens de seconde zone. Notre pays passe par des moments décisifs de son histoire et on le prive de l’apport de ses ressources humaines de l’étranger. On parle d’une diaspora étendue sur plusieurs pays en Europe et en Amérique ; France, Belgique, Suisse, Canada… pour ne parler que des pays où l’usage de la langue française est quasi exclusif.
Liberté a de facto une dimension internationale et il serait peu avisé de supprimer un espace de rencontre et de réflexion, qui plus est sans aucune autre alternative que la promesse d’une longue agonie de la pensée et du pluralisme. Liberté doit impérativement survivre, c’est de l’ordre de la sauvegarde des liens entre Algériens des deux rives, pour permettre à la diaspora de se projeter encore dans le pays et d’œuvrer, avec tous ses moyens, au développement de l’Algérie, et surtout à sa soustraction des forces obscurantistes qui la guettent. Et que nous n’ayons plus aucune place pour exprimer, et dans cette langue qui nous relie à tous nos compatriotes.
Contribution
La diaspora perd un immense territoire de “Liberté”
Myassa MESSAOUDI Publié 11 Avril 2022 à 12:00
Mumtimedia Plus
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Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va
Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.
Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00
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Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté
Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.
Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00