Dans son dernier roman, Akli Tadjer revient sur le sort des jeunes Algériens enrôlés de force par l’armée française en 1939. Ainsi, le lecteur devient témoin de cette période oubliée de l’histoire.
“La guerre tue les rêves de jeunesse (…)” Akli Tadjer l’a brillamment démontré dans son dernier roman, D’amour et de guerre, paru en France le 4 mars dernier aux éditions Escales (la parution algérienne est prévue pour le 20 mai aux éditions Casbah). Dans ce roman tendre et révoltant à la fois, l’écrivain parvient avec finesse à éveiller nos sentiments, à faire conjuguer la joie, la tristesse et la colère à la lecture de chaque ligne, de chaque page. En fait, l’intérêt d’Akli Tadjer pour l’Histoire du pays l’a mené sur un pan de notre passé souvent occulté dans les manuels scolaires ou encore au cinéma et en littérature. Il s’agit de ces Algériens enrôlés de force par l’armée française pour combattre les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Afin de raconter cet épisode tragique à travers la fiction, l’auteur embarque son lecteur dans les abysses d’Adam. Ce jeune de vingt ans menait une vie paisible dans les montagnes de Kabylie, plus précisément à Bousoulem (Bougie), où il aspirait à épouser sa dulcinée, Zina. Mais la vie en a voulu autrement ! Nous sommes en 1939 ; la guerre éclate de l’autre côté de la Méditerranée. Alors qu’il redoutait ce jour, Adam reçoit une convocation de la gendarmerie.
“La guerre, je m’étais juré de ne jamais la faire en refermant les yeux de mon père sur son lit de mort.” Ce paternel avait souffert le martyre (amputé de son pied droit), en endossant l’uniforme kaki en 14-18. Adam se retrouve ainsi malgré lui embarqué dans cette guerre qui ne le “concerne” pas. Arraché à son village, à sa fiancée et à ses rêves de jeunesse, il se retrouve en France, dans ce pays méconnu pour lequel il devra se sacrifier pour la liberté de ses colonisateurs. Cette mésaventure le lie d’amitié à Tarik (futur imam de la mosquée de Fenaïa) et à Samuel (futur rabbin de la mosquée des juifs d’El-Kseur). Malgré leurs différences idéologiques, ces trois personnages partageront le même enfer et les mêmes désirs de liberté. En parcourant le récit, le lecteur devient témoin de cette période oubliée de l’histoire et ce, des deux côtés de la rive.
Propulsé en première ligne sur le champ de bataille, ces soldats “étaient venus du fin fond de l’Afrique pour servir la patrie ; ils étaient morts pour cette France qui ne nous avait apporté que la misère, les guerres, les deuils”. Quant aux survivants, ils sont faits prisonniers au nord de l’Hexagone, dans des camps de travail réservés aux soldats coloniaux appelés “frontstalag” par les “Boches”, où “nous étions la pisse, la merde et la vomissure de cette guerre. Je pensais que la colonisation, c’était l’enfer ; je m’étais trompé, c’était un paradis”. L’ironie du sort, ces prisons infâmes étaient gérées par des roumis, les mêmes ayant ramené de force ces appelés afin de combattre à leur côté. Les horreurs infligées à ces “pas-grands-choses” – qualificatif utilisé par Adam pour parler des Algériens vus par les Français – sont terrifiantes et dépeignent la cruauté humaine dans toute sa splendeur. Pour résister, Adam n’a en sa possession que son petit carnet rouge, dans lequel il écrit des lettres à Zina, sa lumière au milieu des ténèbres.
L’écriture lui permet de garder ce lien avec la jeune femme, sa patrie ; il se raconte mais surtout témoigne de l’absurdité et de la complexité de l’Homme. Akli Tadjer, plus qu’un romancier, renseigne et apporte des éclairages sur cette guerre, notamment la collaboration d’Algériens avec la Gestapo, le rôle de la mosquée de Paris, la situation des “Nords’Af”… En somme, D’amour et de guerre est une œuvre bouleversante qui, outre le volet historique, est un hymne au vivre-ensemble, à l’humanisme, à l’altruisme, à la beauté de l’amour… toutes ces choses que l’Homme a fini par troquer dans nos sociétés contemporaines. Ce roman, qui paraîtra le 20 mai en librairie, est absolument à lire, car on n’en sort pas indemne !
Hana M.