Contribution TÉMOIGNAGE D’UN ANCIEN REPORTER DE L’ALGÉRIE PROFONDE

Ce qu’était et ce que je garderai de “LIBERTÉ”

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Mourad KEZZAR Publié 13 Avril 2022 à 12:00

À l’annonce de la liquidation de la société SAEC, éditrice du journal Liberté, ce sont 22 années d’une vie au sein de ce journal que je vois défiler sur le fil des souvenirs. J’ai rejoint Liberté en tant que correspondant pigiste fin 1995, après une autre riche expérience au sein de l’hebdomadaire Les Nouvelles de l’Est et une dizaine de “courriers” publiés dans Algérie Actualité et Révolution Africaine de 1983 à 1989. J’alimentais régulièrement la page “Algérie profonde” et le “Radar” et, situation politico-sécuritaire du pays oblige, je me suis retrouvé à faire dans l’information sécuritaire dans une région où des territoires entiers avaient échappé à l’autorité de l’État : le massif de Collo.
À l’instar d’autres collègues et consœurs de Liberté, il nous arrivait d’être les premiers sur les lieux de massacres et d’attentats, avant même l’arrivée des secours et des services de sécurité. À Liberté, nous avons toujours cru être dans le devoir de porter la voix, les plaintes et la douleur de l’Algérie profonde.
Par deux fois, j’ai réussi à passer à travers les mailles et des services de sécurité et des groupes de l’ex-AIS pour m’introduire dans les territoires tenus par ces derniers. En 1998, jusqu’au QG, à Tamanart, lieu de regroupement de l’ex-AIS durant les tractations antérieures à son autodissolution et, deux années auparavant, à Azerdez à Kanoua, dans le massif de Collo. Toujours le même objectif : présenter aux lecteurs et aux opinions nationale et internationale la réalité sur cette décennie rouge qui a failli emporter la République.
Sans formation sur ce type de travail journalistique, à l’instar de mes ex-collègues et consœurs qui faisaient de même dans la région centre du pays, nous n’avons ménagé aucun effort pour faire dans l’information, évitant de basculer dans la communication sécuritaire.
Malgré les conditions ayant entouré sa création, Liberté était un espace de journalisme dédié à la seule République. À l’époque, on disait que derrière chaque journaliste faisant du sécuritaire se cachait un officier des Services. À cette époque – du moins pour moi et ceux que je connaissais au journal – ce n’était pas le cas. Nous avions nos propres sources d’information. Elles étaient beaucoup plus, en ce qui me concernait, dans le milieu hospitalier et les groupes d’autodéfense. Avec le personnel de santé, nous étions souvent les premiers à débarquer sur les lieux des crimes et atrocités, avant les services de sécurité et la Protection civile. Liberté était un espace d’exercice de la liberté d’expression, sauf pour celui qui n’en voulait pas.
En 2001, j’ai rejoint le bureau régional de Constantine en qualité de permanent. En 2003, je fus chargé des rédactions de la région Est, avec comme autre mission de réussir avec mes collègues d’Oran, de Tizi Ouzou et de la rédaction centrale, le lancement des pages régionales afin d’accompagner les mutations du paysage médiatique orienté vers l’information de proximité : Liberté était un esprit de leadership. Une grande partie de nos recrues étaient de nouveaux arrivés sur le marché du travail sans jamais fermer la porte à nos confrères et consœurs des autres journaux en difficulté. Et à Liberté, la gestion des ressources humaines était au cœur des préoccupations de sa direction. Toute recrue à titre permanent bénéficiait, à cette époque, d’un CDI, d’une affiliation à la Sécurité sociale et d’un salaire supérieur à la moyenne pratiquée dans la profession.
Toujours pour l’histoire, nous avions recruté des jeunes sans aucune expérience, juste animés de la volonté de bien faire et de l’amour pour la profession, qui ont pu apprendre le métier pour finir, pour certains, par devenir chefs de bureau au sein de l’un des deux plus grands tirages du pays en l’espace de 5 ans. Une opportunité de plan de carrière rarement offerte non pas par le secteur de la presse, mais tous secteurs d’activité dans notre pays. Liberté était un cas d’école en matière de responsabilité sociale.
J’ai assisté à au moins trois importantes réunions qui duraient des journées entières avec le principal actionnaire du journal et, à chaque fois, la seule directive qu’on recevait est de garder en mémoire que le journal est au seul service de la République. À Liberté, de façon générale, les appartenances partisanes et idéologiques des journalistes étaient un facteur d’enrichissement, jamais une ligne éditoriale.
À Liberté, j’ai réussi à exercer un métier que j’aimais. J’ai donné la parole à des centaines de sans-voix, j’ai sillonné presque toute l’Algérie et j’ai mené des missions de couverture ainsi que de reportages dans plusieurs pays. Je n’oublierai jamais mon premier déplacement en Espagne, en 2003, pour un reportage alors que j’exerçais au bureau de Constantine. À l’époque, une telle opportunité était rarement offerte, dans le secteur de la presse, aux journalistes exerçant hors d’Alger. Liberté était un sentiment d’appartenance.
Je n’oublierai jamais mes passages devant les tribunaux à cause de mes écrits, seul ou en compagnie des ex-directeurs du journal, fort de la justesse de la cause et de la solidarité de mes collègues, des confrères et de toutes et tous ceux qui avaient l’amour de la vérité et de la patrie dans le cœur. Liberté était cet autel de sacrifice pour le triomphe de la vérité.
Liberté a publié mon premier ouvrage sur le tourisme, mon autre vocation, ma passion. Ce type de geste, seules les grandes “organisations” savent le faire en direction de leurs personnels. Et Liberté était une Institution.
Après mon départ de Liberté, en décembre 2017, je ne pouvais que garder de bons souvenirs et de bons contacts avec mes ex collègues du moins ceux qui furent imprégnés de l’esprit du journal. C’est pour cela que j’ai évité, ici, de citer des noms car Liberté était une bannière sous laquelle l’individualisme s’effaçait.
Aujourd’hui, avec l’éclipse définitive du journal, alors que j’ai quitté définitivement le monde de la presse il y a cinq ans de cela, je ne peux que garder à jamais, au fond de ma mémoire, les détails de toute une vie que j’ai entamée en qualité de correspondant pour la terminer grand reporter, en passant par le poste de chef du bureau régional à Constantine. À Liberté, j’ai servi mon pays tout en exerçant une passion.

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

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