L’Actualité PR DJAMEL LOUAHEM M’SABAH

“Le dépistage de la scoliose avant la puberté est primordial”

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Faouzi SENOUSSAOUI Publié 01 Février 2022 à 23:14

© D. R.
© D. R.

Dans cet entretien, le professeur Djamel Louahem M’Sabah, du département de chirurgie pédiatrique (service de chirurgie orthopédique) de l’hôpital Lapeyronie (CHU de Montpellier, France) qui n’a jamais coupé le cordon ombilical avec l’Algérie, nous livre son expérience dans la prise en charge du pied bot varus équin (PBVE) et de la scoliose. Il affirme par ailleurs qu’il reste à la disposition des hôpitaux algériens pour partager son expérience en matière de formation et d’interventions afin d’apporter sa contribution pour soulager les enfants atteints desdites pathologies.

Liberté : La scoliose est un problème de santé publique répandu en Algérie. Quels sont les risques d’aggravation de la scoliose non dépistée ?
Djamel Louahem M’Sabah: Pour répondre à votre question, je dois d’abord faire un petit rappel sur la pathologie. La scoliose idiopathique est une déformation tridimensionnelle de la colonne vertébrale. Elle touche surtout les filles (70% des cas). Son incidence est de 4%. Il existe des formes familiales. La croissance de la colonne vertébrale est forte durant la période pubertaire, qui s’étale sur deux années, à savoir de 11 à 13 ans chez la fille et de 13 à 15 ans chez le garçon, selon l’âge osseux. Par conséquent, le risque d’aggravation de la scoliose non dépistée avant la puberté ou non traitée est très élevé. Comme exemple, une scoliose de 30° avant la puberté va passer à 60° après la puberté. La chirurgie est alors indiquée si l’angulation de la scoliose dépasse 40°. A l’âge adulte, la scoliose entraîne des douleurs et une déformation importante de la colonne vertébrale. La chirurgie de la scoliose reste lourde et le taux de complications, en particulier neurologiques ou infectieuses, n’est pas négligeable. Elle nécessite des chirurgiens expérimentés de la chirurgie vertébrale, des structures adaptées et d’importants moyens humains et matériels très onéreux. 

Comment éviter son aggravation angulaire et du coup la chirurgie ?  
La maîtrise d’une prévention rigoureuse et continue est la clé. Le dépistage de la scoliose est plus difficile. En effet, la scoliose est indolore et le motif de consultation est fréquemment la déformation rachidienne ou gibbosité, découverte le plus souvent en période pubertaire ou après. Les parents peuvent et doivent dépister une éventuelle scoliose débutante chez leur enfant. Ils peuvent être alertés s’ils constatent une asymétrie du pli de la taille, si les deux épaules ne sont pas à la même hauteur, si une épaule est plus saillante que l’autre ou s’ils voient une “bosse” dans le dos de leur enfant lorsqu’il se penche en avant. 
On ne répétera jamais assez que le dépistage avant la puberté est primordial. C’est le rôle des médecins généralistes traitants, des médecins scolaires et des pédiatres. Une fois dépisté, l’enfant doit être confié au chirurgien orthopédiste pédiatre. Une simple radiographie de face de la colonne vertébrale en totalité confirme le diagnostic et permet l’évaluation angulaire (angle de Cobb), indispensable pour juger de l’évolutivité de la scoliose pendant la croissance. L’introduction très récente de la technique EOS, peu irradiante, permet d’obtenir une modélisation spatiale tridimensionnelle de la colonne à partir d’un simple cliché radiographique et des mesures angulaires plus précises. Le dépistage précoce a pour objectif d’éviter la chirurgie ou une évolution défavorable à l’âge adulte. Dépistée avant la puberté, la scoliose se traite par un simple corset de maintien à garder pendant l’adolescence. De nos jours, le traitement est plus simple : un corset en polyéthylène plus léger, réalisé sur mesure, dont la conception et la fabrication assistée par ordinateur se fait grâce à une prise d’empreinte optique. Ce corset sera porté jusqu’à la fin de puberté. Il sera porté 18 heures par jour, en dehors des activités sportives et des séances de rééducation. Le suivi annuel clinique et radiographique est assuré par le chirurgien. A Risser 3 ou 4 – critère déterminé sur simple radiographie du bassin de face – l’arrêt du port du corset peut être prescrit car le risque évolutif (10%) est très faible. 

Certains praticiens “ratent” la découverte à temps d’une scoliose, d’où le risque d’aggravation de l’état du patient. Quels sont les meilleures pratiques pour éviter le passage d’une scoliose entre les mailles du filet du dépistage ?
Pour éviter le passage d’une scoliose entre les mailles du filet du dépistage, la visite médicale scolaire semestrielle ou annuelle, comprenant l’examen du dos, doit être obligatoire. Il est fortement conseillé aux familles d’avoir un médecin traitant, pédiatre ou généraliste le cas échéant, qui va aussi participer à cette politique de prévention. Le chirurgien orthopédiste pédiatre assurera un enseignement postuniversitaire des déformations rachidiennes au corps médical : pédiatres, médecins généralistes et médecins physiques rééducateurs. Cette sensibilisation sera complétée par des affiches imagées d’examen clinique du dos de l’enfant et des fiches “mémos” dans les salles de consultation des hôpitaux, des PMI et des cabinets privés de médecins, pédiatres et rééducateurs.  Le dépistage et la prise en charge précoce de la scoliose ne peuvent se concevoir sans la participation et la cohésion d’une équipe pluridisciplinaire.

Pouvez-vous nous éclairer davantage sur cette autre pathologie qui touche les os, à savoir le pied bot varus équin, ainsi que sur sa prise en charge ?
Le pied bot varus équin (PBVE) idiopathique est une déformation congénitale, complexe, tridimensionnelle du pied, associant une flexion plantaire ou équine, varus de l’arrière-pied, adduction et supination de l’avant-pied, dont la fréquence est de 1/1000 naissances. Elle est bilatérale dans 50% des cas. L’hérédité et la consanguinité sont rapportées dans la littérature. En l’absence de traitement précoce, les déformations ostéo-articulaires et la rétraction des parties molles du pied vont s’accentuer et se fixer, causant un handicap fonctionnel d’autant plus sévère qu’elles sont bilatérales. 
La chirurgie extensive de libération en un seul temps, à partir de l’âge d’un an, prônée par les anglo-saxons dès les années 1970 a certes permis d’obtenir une correction complète et définitive du pied, sans compter sur sa dégradation avec le temps. En effet, les résultats de nos travaux publiés en 2017 et ceux de la littérature avec un recul moyen de plus 30 ans l’ont montré avec 70% de mauvais résultats à l’âge adulte. 
De nos jours, cette chirurgie très agressive est proscrite, laissant place au traitement conservateur. Le développement et les résultats positifs des méthodes conservatrices de première intention font l’unanimité. 

Certains praticiens parlent d’un traitement conservateur. Qu’en est-il de cette technique ? 
Le traitement conservateur dès les premières semaines de la vie est largement admis.  A cet effet, le PBVE est évalué dès la naissance et classé en fonction de la réductibilité et la sévérité des composantes de la déformation. 
La classification de Diméglio et Bensahel, publiée en 1995, basée sur un score total de 20 points est actuellement la plus utilisée dans le monde, décrivant 4 formes : réductibles (0-5), partiellement réductibles (5-10), sévères (10-15) et très sévères (15-20). 
Deux méthodes sont utilisées : la méthode fonctionnelle française ou French Method et la méthode hybride ou Hybrid Method de Montpellier combinant les manipulations, mobilisations, assouplissements du pied et les contentions donnent de bons résultats dans 90% à 100% dans les formes à score < 15 points. Le recours à la chirurgie non extensive dite “à la carte” a sensiblement été réduit à 11% dans les formes > 15 points. Cependant, ces méthodes sont exigeantes et nécessitent des kinésithérapeutes spécialisés, des mobilisations sans relâche et des familles coopérantes.  

Pouvez-vous nous parler de l’expérience de l’école de Montpellier dans la prise en charge du pied bot ?
L’école de Montpellier a développé une politique exemplaire de dépistage et prise en charge précoce depuis 1992. Sa réussite est basée sur le dépistage précoce où l’échographique anténatale et l’examen néonatal constituent une étape incontournable, voire obligatoire. 
Tout nouveau-né avec PBVE est examiné en premier par le pédiatre à la maternité, puis orienté vers le chirurgien orthopédiste pédiatrique. Dès les premières semaines de la vie, la prise en charge est ensuite assurée par des kinésithérapeutes expérimentés dans un centre de rééducation fonctionnelle pédiatrique où le pied est évalué et classé, informatisé, photographié et filmé à chaque étape de correction. Une consultation conjointe kinésithérapeute et chirurgien orthopédiste pédiatre est organisée mensuellement pour une évaluation clinique du pied. Les radiographies du pied ne sont réalisées qu’après la deuxième année, si nécessaire.

Qu’en est-il de la méthode Ponseti ?
La méthode Ponseti est la plus pratiquée et s’est imposée dans le monde. Elle consiste en des plâtres correcteurs successifs et une ténotomie percutanée de l’Achille au 45e jour. Une fois la correction complète obtenue, ce traitement est poursuivi jusqu’à l’âge de 4 ans par des attelles de posture ou des chaussures à bord interne rectiligne. La littérature mondiale rapporte une correction initiale complète des pieds dans 90% à 100% des cas. 
La surveillance continue et la rigueur de cette méthode durant toute cette période sont primordiales, au risque de voir s’installer une récidive du pied bot varus équin, imposant une correction chirurgicale. Pratiquée précocement et rigoureusement, elle donne de bons résultats à long terme dans 80% des cas selon des études américaines. Plus simple, moins contraignante, peu onéreuse, la méthode Ponseti, qui nécessite peu de moyens, a prouvé son efficacité dans beaucoup de pays. 
Cependant, le rôle du chirurgien orthopédiste pédiatre est capital pour développer un programme de dépistage précoce et, du coup, commencer rapidement le traitement. Il doit organiser un enseignement continu et des séminaires de formation à cette méthode, avec des ateliers pratiques destinés aux jeunes chirurgiens orthopédistes et kinésithérapeutes.
 

Entretien réalisé par : FAOUZI SENOUSSAOUI

 

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