Mohamed Zaoui est un journaliste, correspondant de presse et réalisateur algérien qui vit actuellement en France. Forcé à l’exil durant la décennie noire, il a, par la force de son caractère, pu tracer son chemin pour se découvrir un don artistique dans la photo et un goût prononcé pour l’image. Il se tourne ensuite vers la réalisation de films documentaires en braquant son zoom sur tout ce qui attire l’“humain” qu’il est. Un penchant artistique qui a donné naissance au fil des années à un travail de professionnel plusieurs fois primé à l’international.
Liberté : Comment vous est venu cet amour de la photo et de la caméra ? Le déclic ?
Mohamed Zaoui : Il n’y a pas eu à proprement parler un déclic, un moment ou une photo précise qui a déclenché ça en moi. Mais de nombreuses raisons en fait.
Après sept années d’absence, en 2001, mon père m’avait offert un caméscope. Il fallait que je m’en serve donc. Mes nombreuses visites dans les musées d’art plastique m’ont énormément aidé à mieux comprendre les règles de base d’une bonne prise de photo. J’ai aussi acheté de nombreux livres pédagogiques pour me documenter et apprendre à bien manipuler l’objectif.
Mais si vous tenez au mot “déclic”, je dirais que ce fut ma première visite touristique au Tassili Najer, et plus précisément à Djanet ; là j’ai pu découvrir avec stupeur et émerveillement ce monde féérique que je ne connaissais pas. Un monde merveilleux, une nature sublime, un berceau de l’humanité incroyable, une faune et une flore inimaginables, des photos rupestres inoubliables…
Là, j’ai pris conscience qu’il fallait immortaliser toute cette beauté. Et j’ai pris plaisir à le faire. Et c’est là que mon aventure avec la caméra a commencé aussi.
Et j’ajouterai que mon stage d’initiation pratique, si je puis dire ainsi, fut en réalisant un petit film avec la défunte reine de l’Imzad, Hadja Tarzagh, une grande artiste qui méritait bien plus qu’un hommage. Et pour revenir à la photo, je fais surtout des portraits, car j’aime beaucoup capter les expressions du visage et surtout ceux des enfants. J’en ai fait beaucoup de ma fille Yasmine et surtout lors de nos nombreux voyages, car nous aimons beaucoup voyager en famille et aller à la découverte de nouveaux horizons (nature, architecture, faune…). J’ai ainsi immortalisé de beaux moments passés en Espagne, au Canada, à Londres, et la toute dernière escapade, un safari inoubliable au Kenya, à la découverte de cette époustouflante réserve naturelle.
Vous avez aimé ça au point d’en faire votre métier, pourquoi ?
Ce qui m’a surtout poussé à aller vers ce domaine c’est qu’aujourd’hui, il n’est plus restreint aux seuls photographes de presse ou autres journalistes, cela s’est “démocratisé” comme on dit, et à l’ère du numérique et de l’internet, tout est possible. Et on se rend compte que la passion et le travail bien fait peuvent nous mener loin. Pour ma part, j’ai toujours été interpellé par l’homme, ou la “condition humaine” si vous voulez. Je suis souvent attiré par des situations incongrues, des images qui sortent de l’ordinaire, des faits bizarres, de l’absurde… Tout comme par la beauté naturelle des choses… Et tout ceci, je tente de le fixer par mon objectif pour le donner à contempler aux autres, avec chacun son regard personnel. C’est une passion plus qu’un métier pour moi en somme ; et ma satisfaction quand je concrétise un projet va au-delà de ce qu’un simple métier peut produire en nous.
Comment est venue cette idée de films documentaires ?
C’est venu en fait un peu de mon travail comme correspondant de presse à Paris de quelques chaînes de télévision, certes, ce n’est pas vraiment le même procédé, mais le travail de base reste l’image dans les deux cas. Le film documentaire est venu un peu spontanément et c’est pour cette raison que certains de mes amis journalistes me nomment “le cinéaste de l’imprévu”. Je ne suis pas du tout comme ces cinéastes qui préparent tout à l’avance ou écrivent des scénarios ; chez moi, tout se fait spontanément. Le sujet vient à moi de lui-même. Quand je rencontre un personnage qui m’intrigue, quelqu’un qui écoute de la musique par exemple, je le prends en photo en silence pendant un moment, puis je m’approche de lui et cela peut donner lieu à quelque chose de très parlant en juste deux à trois minutes. Vous savez, une seule image peut exprimer bien des choses et sans un mot… C’est une manière de décrypter une situation, d’exprimer un sentiment, un chagrin, une douleur… Un exemple concret est ce court-métrage en noir et blanc de 140 secondes. “Je suis condition humaine” qui renvoie à cet homme rencontré par hasard sur la Place de la Défense à Paris. Il avait l’air ailleurs, sur une autre planète, et son regard trahissait sa douleur. Et cette douleur a été transcrite dans ces images qui ont fait réagir beaucoup de personnes sur un forum de discussion. Mon autre court métrage Retour à Montluc, sorti en 2012, qui parle d’un condamné à mort “Mustapha Boudina”, qui revient sur les pas de son incarcération dans une prison de Lyon a également beaucoup marqué les esprits ; il a même été primé plusieurs fois à l’international.
Avez-vous des aides ou des subventions pour ce travail ?
Non, tout ce que je réalise, je le fais avec mon propre argent. Il faut dire aussi que je fais tout seul. Je n’ai pas d’équipe qui me seconde pour le son, la lumière ou autre. Je m’adapte et fais adapter ma caméra à toutes les situations d’éclairage ou autre. J’apprends et me perfectionne tout seul. Et mon travail est primé malgré le peu de moyens que j’ai.
Y a-t-il une différence entre le film documentaire et le reportage ?
Oui, une grande différence. Faire un reportage c’est traiter et décortiquer un sujet en se basant sur des informations et des vérités. Le journaliste ou reporter choisit sa thématique et l’aborde objectivement sur la base des données qu’il a en sa possession, en donnant aussi la
parole à d’autres intervenants, particuliers ou représentants d’institution pour parler de ce sujet précis.
Alors que le film documentaire est une histoire, un point de vue personnel, un angle de vue que le réalisateur choisit subjectivement en y mêlant un côté personnel, une sorte de “drama” avec laquelle il veut toucher son public. Il y a dedans une touche artistique et un regard de cinéaste qui n’existent pas dans le reportage. Et si aujourd’hui, on constate qu’il y a amalgame entre les deux, je pense que la faute incombe aux médias et aux journalistes qui ne savent plus faire la part des choses et confondent reportage et film documentaire. Mais là revient un autre sujet à débattre qu’est la formation et la professionnalisation des métiers du cinéma…
Un dernier mot sur vos projets...
J’ai beaucoup de projets dont j’ai filmé un grand nombre sans les finaliser encore. Entre autres, Les chaussures blanches de mon père ou encore un film sur le regretté Othmane Bali qui a été entamé voilà de nombreuses années et que je n’arrive pas encore à terminer. Mais ça viendra. Comme d’autres projets dont je parlerai en temps opportun.
Propos recueillis par : SAMIRA BENDRIS-OULEBSIR