Enquête ALI AMRAN

“l’industrie musicale vit sa plus mauvaise période”

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Yasmine AZZOUZ Publié 06 Décembre 2021 à 22:18

© D. R.
© D. R.

C’est au confluent de deux modèles de consommation de la musique que l’auteur-compositeur et interprète de musique kabyle Ali Amran a entamé sa carrière, il y a vingt ans. L’émergence de la digitalisation et la disparition du CD n’ont pourtant pas eu un impact significatif sur sa production artistique. Avec cinq albums, dont le dernier a été publié en 2019, le rockeur choisit “d’avancer quand même”, en s’autoproduisant et en s’adaptant en solo à la restructuration de l’industrie musicale. Dans cet entretien, il revient sur le paysage musical algérien, qui n’offre pas assez d’opportunités aux artistes, dénué de stratégie à même de relancer le secteur. 

Liberté : Les sorties d’albums se font de moins en moins ces dernières années. Quelle appréciation faites-vous de la situation ?
Ali Amran :  C’est vrai que l’album tel qu’on le connaissait jusque-là, c’est-à-dire un objet physique notamment le CD, devient de plus en plus rare pendant cette dernière période et il ne va pas tarder à disparaître, j’imagine. Après, il y a des albums qui sortent sur internet en digital, ça reste toujours des albums, selon moi. 

On assite à une prédominance des sorties de singles. Les labels investissent plus dans ces derniers, rentables rapidement, que dans des albums complets. Est-ce l’obsolescence de la création à proprement parler ? 
Le single ou l’album sont des contenants. Ce sont des formats de vente et de consommation de la musique. Ça a une relation avec la création, c’est clair. C’est-à-dire que si la production de ces objets n’est plus rentable, ça va sûrement s’arrêter.

Pour le single, il faut qu’il soit accompagné d’images, c’est le nouveau modèle. De mon point de vue, ce n’est pas parce que le format change que cela aura un impact sur la création à proprement parler. Il faudrait surtout que la production d’albums, digital ou physique, de singles avec clip ou non soit rentable pour les producteurs afin qu’ils puissent continuer à faire cela. 

Vous avez sorti cinq albums sur une durée de vingt ans. Et vous continuez à en faire. Comment vivez-vous l’évolution de l’industrie musicale ? 
Je pense que je suis arrivé au mauvais moment dans l’industrie de la musique. C’était vers le tournant de l’an 2000, donc à peu près vingt ans en arrière. L’industrie musicale a commencé à changer, la digitalisation et internet sont arrivés. Le modèle ancien commençait à perdre un peu au profit de cette évolution.

C’était une période instable sur ce plan-là. J’ai fait le choix, d’une certaine manière, d’avancer quand même ; donc je fais mes albums en autoproduction. Aujourd’hui, on est face à un nouveau modèle, même si la situation n’est pas évidente. Il est clair que tout se digitalise, s’il n’y a pas d’objet à acheter pour écouter de la musique à la maison, c’est parce que les lecteurs CD n’existent plus. Il faut être abonné à Spotify, Deezer, etc. 

Le chaînon de la promotion fait également défaut. Beaucoup d’artistes n’ont pas de vitrine pour faire leur promotion, ou ne sont pas accompagnés dans cela…
J’ai l’impression que ça a toujours été le cas, notamment en Algérie. Nous n’avons pas beaucoup d’espaces ni assez d’initiatives de la part des labels ou des producteurs. Je pense qu’aujourd’hui il y a quand même moyen de faire sa propre promotion, au moins pour les artistes. On peut avoir sa chaîne  YouTube, une page Facebook… De ce point de vue, les artistes pourraient au moins se débrouiller tout seuls. 

La musique kabyle échappe-t-elle à cette crise, compte tenu de l’existence de labels qui continuent, en dépit de la situation, à produire et à soutenir leurs artistes ? 
Je ne pense pas que la musique kabyle échappe à quoi que ce soit, au contraire.  De toute façon, tel que je connais le milieu de la production de la musique kabyle, ça a toujours été très compliqué et aléatoire. Ce sont les artistes, globalement, qui font tout ; ils sont producteurs, parfois même ce sont eux qui distribuent leurs CD ou cassettes. 

Je pense que la production et la distribution de la musique kabyle a toujours été très compliquée. Si aujourd’hui, il y a des labels qui soutiennent des artistes, c’est tant mieux. De toute façon, pour avancer, il va falloir quand même que chacun fasse sa part et que tout ne repose pas seulement sur les épaules des artistes. 

On remarque également que les artistes algériens font leurs sorties d’albums à partir d’autres pays, notamment la France…
Beaucoup de nos artistes vivent et travaillent à l’étranger, ils présentent donc leurs albums en dehors de l’Algérie, C’est dommage mais c’est comme ça.

Établi à l’étranger, quel regard portez-vous sur la production musicale d’ici et des autres pays ? Le marché algérien a-t-il évolué ? Ou faut-il revoir la stratégie adoptée par le secteur de la musique en Algérie ?
Sincèrement, je ne sais même pas s’il y a une stratégie pour le domaine musical en Algérie. J’ai l’impression que c’est un peu la débrouille, chacun essaye de faire et d’avancer. Je suis peut-être mal informé, mais je ne vois pas de stratégie particulière.

Les artistes comptent sur eux-mêmes pour enregistrer, diffuser, jouer.  Par rapport à ce qui se fait dans d’autres pays, c’est au cas par cas, mais de toutes les manières, des politiques sont mises en place, le domaine est bien structuré, ce sont des efforts collectifs ; il y a des tourneurs, des diffuseurs, des producteurs, des musiciens… 
 

Entretien réalisé par : Yasmine AZZOUZ

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