Par : MOUHOUBI ALLAOUA
RETRAITÉ DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
“ Une année après, le sort de l’Epic Béjaïa Provert attendu par la population reste une énigme entière, suscitant des interrogations et laissant la voie ouverte à toutes sortes de supputations.”
Le site électronique “Béjaïa la vérité”, qui compte des milliers d’abonnés, vient de poser une nouvelle fois la question de savoir qui est derrière le blocage du projet de l’Epic communal. Interrogation légitime à défaut d’une communication adaptée sur le sort de cet établissement censé régler définitivement le problème de la gestion des déchets ménagers comme il a été annoncé tambours battants depuis le mois de juin de l’année passée. Des questions que se posent également tous les citoyens de Béjaïa, auxquelles cette contribution tente d’apporter des éléments de réponse qui exigent cependant de revenir sur les péripéties précédentes.
Le projet avorté de l’Epic de wilaya
L’histoire a commencé en réalité en 2016 lorsque le projet du Club 92 a été avancé pour contrer une offre du groupe Cevital qui s’est proposé à l’époque d’investir jusqu’à cent milliards de centimes pour le traitement des déchets de Béjaïa. Ce dossier du Club 92 d’un groupe franco-algérien, introduit au niveau de Béjaïa comme wilaya-pilote, finira en queue de poisson, laissant la place au projet de l’Epic de wilaya présenté comme la solution incontournable pour lequel la commune a été amenée à dégager vers la fin de l’année 2017 une subvention de l’ordre de soixante-dix milliards de centimes. Epic de wilaya qui a tenu en haleine toute la population de Béjaïa durant l’année 2018 avec des gesticulations de part et d’autre sur de prétendus lobbies qui auraient bloqué son démarrage et entravé la libération de la subvention alors même que les camions bennes-tasseuses et arroseuses sont livrés et stationnés dans un parc de la commune dans l’attente de leur exploitation prévue pour le début de la saison estivale.
Des engins qui seront renvoyés en toute discrétion au fournisseur compte tenu de la confirmation par le ministère des Finances de l’incompatibilité de la procédure de financement par le biais d’une subvention communale avec des remboursements à valoir sur les facturations mensuelles de l’Epic. À défaut de s’engager dans l’économie circulaire qui appréhende le déchet comme une ressource, on a tourné en rond dans un feuilleton à plusieurs épisodes dont celui de l’ONG R20 Arnold Schwarzenegger, de Manabi Environnement, d’AES Algérie Environnement Services, un succédané de Club 92, et de Vauche pour le TMB (Traitement mécano-biologique) sous l’égide de la tutelle, sans aucun résultat concret, pour enfin voir la naissance difficile de l’Epic communal par un arrêté de wilaya du mois de mars 2020, et objet d’une délibération communale d’octobre 2018.
Création de l’Epic communal
L’Epic communal qui a bénéficié par anticipation d’une première enveloppe de trente-deux milliards dans le cadre du budget supplémentaire 2019 est dénommé Béjaïa Provert avec l’ambition de prendre également en charge la problématique de la gestion des espaces verts en plus de celle des déchets ménagers et assimilés. Le démarrage imminent de l’Epic a été annoncé sur les ondes de la radio locale avec le recrutement d’un directeur général et l’installation du conseil d’administration. Une rallonge budgétaire de cinq milliards de centimes ayant même été allouée. Une année après, le sort de l’Epic Béjaia Provert attendu par la population, reste une énigme entière, suscitant des interrogations et laissant la voie ouverte à toutes sortes de supputations.
Aux dernières nouvelles, et selon le compte rendu médiatisé de la conférence d’un groupe d’élus de l’APC de Béjaïa en date du 26 avril 2021, ce retard serait justifié par le rejet de l’engagement de l’opération par le contrôleur financier qui aurait exigé la correction de l’intitulé du programme qui doit préciser le terme “octroi” des subventions. Motif à la limite de l’ubuesque, qu’une délibération d’une séance extraordinaire de l’assemblée aurait pu rectifier en moins d’une heure.
Situation qui laisse place à de nombreuses questions à commencer par la motivation réelle qui a empêché la convocation de ladite assemblée qui devait se tenir dès la notification du prétendu rejet du contrôleur financier. De même que celle de l’indifférence de la tutelle vis-à-vis d’un arrêté de création de l’Epic signé depuis plus d’une année, en plus des budgets colossaux approuvés et restés sans aucun engagement. D’autre part, le budget primitif 2021 qui n’est pas adopté en assemblée et traité par la tutelle a-t-il reconduit comme à l’accoutumée l’enveloppe de fonctionnement de près de 30 milliards de centimes pour la collecte des déchets ménagers par les entreprises privées et également celle destinée à l’entretien des espaces verts ? Auquel cas, le doute sur une supposée pression des opérateurs privés pour préserver les marchés, serait justifiée.
Ce laisser ne “rien faire” ne cache-t-il pas une autre volonté de réactiver l’Epic de wilaya qui peut prendre tout son sens avec le gisement supplémentaire du nouveau pôle d’Ighzer Uzarif qui ne peut être supporté par la seule commune d’Oued Ghir, exigeant plutôt une approche intercommunale de la gestion des déchets et la réouverture du Centre d’enfouissement technique de Sid Bouderhem ?
CET qui, faut-il le rappeler, est toujours fermé, alors qu’il a englouti des budgets de près de vingt milliards de centimes de la commune de Béjaïa pour le seul traitement des lixiviats. Et l’APW Assemblée populaire de wilaya, ne devrait-elle pas s’impliquer pour promouvoir une prise en charge intercommunale de cette question qui ne manquera pas de se poser avec acuité avec les déplacements prochains des populations vers cette nouvelle zone urbaine ?
En tout état de cause, il faut en finir avec ces approximations nuisibles de la problématique de la gestion et du traitement de déchets ménagers que les campagnes de volontariat engagées périodiquement par la wilaya ne suffisent plus à cacher.
Pour des assises nationales de l’environnement et du cadre de vie
Quand on sait que la commune de Béjaïa traîne un schéma directeur de gestion des déchets ménagers élaboré en 2002 et adopté en 2008 qui n’est plus d’actualité compte tenu des extensions urbanistiques de la ville et de la démographie. Et que les investissements et les prestations de la gestion des déchets ménagers sont entièrement financés sur fonds propres sans aucun recouvrement de la redevance TEOM (Taxe d’enlèvement des ordures ménagères) dont on ne se préoccupe même plus d’actualiser le barème fixé par la loi de finances, et sans aucune maîtrise du coût de revient de la tonne collectée. Situations qui s’appliquent probablement à de nombreuses autres collectivités. Ne serait-il pas le moment d’un sursaut écologique et d’envisager la tenue des assises nationales de l’environnement et du cadre de vie, avec entre autres pour objectifs principaux :
- actualiser le corpus législatif de sorte à intégrer des mesures plus coercitives en matière de respect des instruments de gestion, avec des objectifs quantitatifs en matière de tri et de valorisation des déchets ;
- assouplir les modalités de financement des Epic de niveau communal ou régional ;
- fixer un cadre législatif élaboré pour favoriser l’intercommunalité dans ce domaine pour les économies d’échelles ;
- régionaliser davantage les missions de l’AND (Agence nationale des déchets) pour mieux encadrer les collectivités ;
- évaluer le bilan du PNAE-DD (Plan national d’action pour l’environnement et le développement durable) ;
- réviser le code de la commune de sorte à obliger la collectivité à présenter un plan de gouvernance de la gestion des déchets en matière de coûts et de performance ;
- améliorer la concession privée qui devrait passer vers la logique du partenariat PPP (public-privé) doté de l’expertise.
Perspectives que l’on est en droit d’espérer avec la nouvelle constitutionnalisation de la dimension de l’environnement au niveau du Conseil économique, social et environnemental.