Rien n’arrête visiblement ces ayatollahs de la haine qui inondent la place publique et saturent l’espace médiatique. En mal d’arguments, certains “acteurs” politiques multiplient impunément les provocations qui ciblent tout particulièrement la Kabylie. Habituellement promptes à sévir, les autorités sont curieusement silencieuses face à ces dérives dangereuses.
Si la campagne électorale qui se termine aujourd’hui a été marquée, le plus souvent, par le grotesque et les sorties aussi insolites que cocasses des candidats, faisant à l’occasion le bonheur des réseaux sociaux, voilà qu’Abdelkader Bengrina, en remuant dans le discours perfide, provocateur et vindicatif, vient de lui conférer une tournure pour le moins gravissime dont on aurait pu garder que le seul caractère ubuesque, à défaut d’un rendez-vous avec la politique.
Dimanche, le président du parti islamiste, El-Bina, a commis un dérapage, un de plus, en affichant, presque fièrement, toute son antipathie à l’égard d’une région du pays, la Kabylie. Lors d’un meeting populaire, l’ex-ministre du Tourisme sous l’ère de Liamine Zeroual a tenu des propos qui tombent sous le coup de la loi, en qualifiant de “chose” la langue amazighe, consacrée pourtant par la Constitution, faut-il le rappeler, langue nationale et officielle. Un dérapage, loin d’être un lapsus.
Sa langue n’a pas fourché. C’est une attaque frontale et assumée contre une région du pays. “Le jour où une chose (allusion à la langue amazighe), parmi les revendications de cette région (la Kabylie), a été satisfaite et introduite dans la Constitution, un de ceux qui se trouvent aujourd’hui en prison (en référence à l’ancien ministre Ahmed Ouyahia : ndlr) a eu une discussion avec moi et je lui ai dit qu’en réalité vous êtes en train de négocier entre vous”, a-t-il dit, sans sourciller, avant de poursuivre, insidieusement, que “la gestion de l’État avec l’esprit de la dechra (village) a beaucoup nui, ces deux dernières décennies, à l’édification d’un État juste et égalitaire”.
Dans son discours, le chef islamiste a poussé encore la perfidie jusqu’à considérer que “cette région a été privilégiée au détriment des autres”, par l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, aujourd’hui en détention. “(…) le chef du gouvernement de l’époque est venu me parler. Je lui ai dit, en vérité, vous discutez avec ceux qui faisaient la grève et vous vous partagez les rôles, en soirée. Je dis cette vérité parce que mon domicile fait face au sien et chaque soir ils se retrouvent chez lui à discuter et se partager les rôles”, raconte encore Bengrina, en affirmant, l’air donneur de leçons, que “ce n’est pas avec cette logique qu’on construit un État”.
Pire, il soutient que cette région a été la dernière à rejoindre la Révolution. Sur les réseaux sociaux, cette vidéo du chef d’El-Bina, engagé dans la bataille électorale pour les législatives du 12 juin prochain, a enflammé la Toile. Les internautes n’ont pas manqué de commenter cette dérive d’un “chef politique”, en relevant le caractère “raciste” des propos tenus. D’autres s’en sont pris à lui, en rappelant que la Kabylie, contrairement à ce qu’il avance, a été bien lésée sous le “règne de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika et de l’ancien Premier ministre Ouyahia”.
Qu’est-ce qui peut bien motiver alors la sortie de Bengrina ? Pourquoi s’attaquer à la langue amazighe et la Kabylie ? Pour le sociologue Rabeh Sebaa, fin observateur de la scène politique, les propos de Bengrina, s’ils “renseignent sur le manque de lucidité drastique des candidats aux législatives, comme ce pitre grimaçant de Bengrina, ils sont un indicateur édifiant de l’opportunisme des islamo-populistes prêts à tous les dérapages pour s’emparer du pouvoir”, en déplorant, par ailleurs, qu’“une catégorie de la population, par ignorance, le plus souvent, est malheureusement réceptive à ce discours”. Il ajoute que “le discours de Bengrina, et bien d’autres, est justement orienté vers cette catégorie sur laquelle misent beaucoup les islamistes dans leur course au pouvoir”.
Précédents
Il faut dire que ce n’est pas la première fois qu’un acteur politique se fend de telles déclarations à connotation raciste ou régionaliste. En avril dernier, un sénateur apparenté FLN avait déversé son fiel sur la Kabylie, allant jusqu’à lui dénier l’apport inestimable qu’elle a consenti pour le combat libérateur contre le colonialisme. C’était à la veille de la célébration du Printemps berbère 1980 et du Printemps noir de 2001. “Je vous conseille de relire l’histoire. Le contingent des zouaves a été créé par la France dans une région bien connue des Algériens. Ce contingent a été aux premiers rangs d’une guerre menée contre les Algériens”, avait-il écrit dans un post sur sa page Facebook. Il ne sera jamais inquiété pour autant, alors qu’une loi, promulguée récemment, ne laisse aucune équivoque sur la lutte contre la discrimination et le discours de haine.
Un observatoire chargé de la détection et de l'analyse des formes et aspects de la discrimination et du discours de haine, d'en rechercher les causes et de proposer les mesures et procédures nécessaires à leur prévention, a été même mis en place, en avril 2020, auprès du président de la République. Et pourtant, dans ce registre, bien des dérapages et des dérives ont été commis.
L’inénarrable présidente du Parti de l'équité et de la proclamation (PEP), élue députée à l'Assemblée populaire nationale lors des élections législatives de 2017, est, à ce titre, celle qui s’est distinguée par la stigmatisation de la région et de ses habitants. Elle tient même la palme d’or. Visée par une plainte déposée contre elle, elle n’a jamais abouti à ce jour. Comme le sénateur, elle n’a jamais été inquiétée. De quoi susciter des interrogations…
Karim Benamar