Les chiffres donnent le tournis : pas moins de 1 500 harraga algériens sont arrivés sur les côtes espagnoles ces dernières 72 heures. Loin de connaître un quelconque répit, le phénomène s’amplifie au fil des semaines, comme l’attestent les chiffres rapportés par les médias depuis plusieurs jours maintenant. Et même si aucun chiffre exhaustif n’est disponible autant chez les gardes-côtes que chez les ONG chargées de secourir les migrants, en raison essentiellement de la nature même du phénomène, il reste que le nombre de harraga connaît une courbe exponentielle depuis l’été, période réputée propice pour les candidats à l’émigration clandestine.
Ni les prix prohibitifs proposés par les réseaux de passeurs dont le créneau est très lucratif — ce qui peut laisser présumer l’existence de complicités — ni les risques liés aux conditions de la traversée, souvent dans des embarcations de fortune exposées aux caprices de la météo, encore moins les risques d’être appréhendés par les autorités de la destination d’arrivée et la situation économique difficile que traverse l’Europe ne semblent dissuader nos jeunes, mais aussi des femmes, de tenter l’aventure pour rejoindre l’autre rive de la Méditerranée.
Combien sont-ils à avoir réussi à gagner l’Europe et combien sont-ils à avoir péri ? Sans doute éclipsé par le contexte politico-social rythmé par la flambée des prix, les récentes catastrophes, l’érosion du pouvoir d’achat, les pénuries, les arrestations à tour de bras et le verrouillage politico-médiatique, le phénomène devrait pourtant interpeller les consciences et les autorités.
Jusqu’à quand assisterons-nous, résignés et apathiques, à cette saignée d’une jeunesse qui ne semble plus croire à un hypothétique bonheur dans son pays ? Marqueur d’un profond malaise social, d’absence de perspectives et de désespoir qui a gagné des franges de la population, particulièrement depuis l’étouffement du Hirak et l’apparition de la pandémie, le phénomène, au-delà de l’image qu’il nous renvoie d’un pays qui peine à offrir une vie digne à ses enfants, risque à terme de poser bien des problèmes avec nos partenaires européens. Un paradoxe pour un pays qui fait la promotion de la stratégie de développement pour fixer les populations ! Le phénomène ne dit pas seulement que nous n’avons pas pu offrir les conditions de vie et d’épanouissement aux jeunes, mais plutôt l’échec des politiques qui les sous-tendent. Car, bien plus que les perspectives pour un statut social, les jeunes ont besoin d’écoute, de considération et de liberté. Toutes les libertés. ■
