L’Actualité

Fragments de ma vie à “Liberté”

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Karim KEBIR Publié 14 Avril 2022 à 12:00

Fin août 2003. Liberté vient à peine de sortir d’une grande épreuve avec les autorités à cause d’une “Une” passée depuis à la postérité : “Tous des voleurs ?! Expliquez-vous.” Rentrant d’un congé, après avoir démissionné quelques semaines plus tôt du quotidien La Tribune non sans quelque émotion, je fus reçu par le directeur de Liberté d’alors, Farid Alilat, aujourd’hui journaliste à Jeune Afrique. La rencontre fut brève, mais très cordiale. Au terme de quelques échanges, il m’engage. Le lendemain, premier papier et début de ma nouvelle aventure qui durera dix-neuf longues années. Aujourd’hui, il n’est pas aisé pour moi, je l’avoue, de résumer en quelques lignes ce que j’ai pu vivre au sein de la rédaction. J’ai connu des moments très exaltants, mais aussi des moments de déception, parfois de colère, d’incertitudes. Bref, j’ai connu toutes sortes d’émotion. Mais, très vite, j’ai pu me fondre dans mon nouvel environnement en découvrant une nouvelle équipe, mais dont je connaissais déjà certaines signatures, et découvrais aussi une autre façon de traiter l’actualité. Un autre regard sur le métier. Le rôle de la photo, les délices du reportage, les pérégrinations à travers des contrées du pays, des endroits improbables et le poids du journal sur la scène médiatique. En dépit de quelques petites animosités, jalousies, parfois des accès de colère ou de polémiques, propres au métier, les conférences de rédaction étaient un pur délice. Au quotidien, on faisait la critique du journal, chose qu’on a malheureusement fini par abandonner au fil des ans. Il n’était pas rare d’assister à des échanges parfois tendus entre confrères autour d’un papier ou d’une idée de papier, mais c’était ainsi la vie d’un journal puisque, aussitôt après, la bonne humeur et l’entente retrouvaient leur cours normal. Mon premier fait d’armes ? Un mercredi, au moment du bouclage, une information nous parvient : 14 militaires assassinés à Oued Djemâa, du côté de Khemis Miliana (Aïn Defla). “Demain matin, tu prends le chauffeur et le photographe, et tu y vas”, me demande Farid Alilat. Le lendemain, accompagné du chauffeur et du photographe, je me retrouve non loin du lieu du carnage, un mont boisé à quelques kilomètres d’Oued Djemaa. “Mais vous êtes fous. Il est impossible de rejoindre l’endroit et c’est interdit”, nous dit un jeune soldat, posté à la lisière d’un campement, étonné de voir la présence d’un journaliste dans cet endroit qui respire la mort, enveloppé de silence que seuls troublaient le chant des oiseaux et le clapotis de l’eau de la rivière.
Mais qu’à cela ne tienne, on a pu glaner quelques informations auprès des citoyens de la localité, mais aussi auprès d’un précieux témoin : un élément de la police communale, dont on a gardé l’anonymat par prudence, mais aussi pour le protéger d’éventuelles représailles. De cette période sous le règne de Farid Alilat, je garde aussi le souvenir du défunt M’hamed Yazid qui, chaque matin, venait s’associer à la conférence de rédaction. Je ne peux restituer aujourd’hui encore tout le sentiment qui m’animait et que j’éprouvais alors en me retrouvant face à un monument de notre histoire de libération et un des acteurs des accords d’Évian. Un jour, alors que je réalisais une interview avec lui, dans sa maison, à El-Mouradia, M’hamed Yazid me demanda à la fin de l’entretien : “Vous avez oublié une question.” Je ne pus la lui refuser. Une question sur le défunt ministre de l’Intérieur dont, visiblement, il gardait une rancune tenace. Il voulait en fait régler son compte à Yazid Zerhouni, ancien malgache et dont le rôle était controversé dans la gestion des événements de Kabylie, qui avaient éclaté quelques années plus tôt. Cette interview qu’on reproduira au lendemain de sa mort était la dernière qu’il accorda à un quotidien national. Cette période était la plus faste, de mon point de vue, pour Liberté. Le tirage du journal dépassait les 200 000 exemplaires et une grande concurrence régnait entre confrères. Mais le limogeage de Farid Alilat quelques mois seulement après sa nomination et à quelques encablures de l’élection présidentielle m’ouvrit les yeux sur certains enjeux politiques, mais aussi sur la difficulté de l’exercice du métier et ses limites dans un environnement politique pas toujours facile à cerner et à en percer les secrets. Depuis, le journal a vécu au rythme de changements à sa tête et dont, à ce jour, j’ignore les véritables raisons. Une période aussi qui m’a marqué, celle de l’arrivée de Mounir Boudjemâa en 2006. Accueilli avec circonspection par la rédaction, en raison de sa proximité présumée avec quelques cercles du pouvoir, l’arrivée de ce journaliste de talent va instaurer un malaise sourd au sein de la rédaction. Non seulement une nouvelle ligne éditoriale est adoptée, mais je me vois isolé, moi et d’autres journalistes étiquetés d’appartenance au RCD pour deux longues années. À ce jour aussi, j’ignore si c’était délibéré ou simplement pour éviter de ne pas s’encombrer de papiers dont il était difficile de justifier l’éventuelle censure. Du reste, Mounir Boudjemâa appréciait les bons reportages. En avril 2007, je pus bénéficier d’un stage en journalisme d’investigation à Syracuse University, à New York. À mon retour des États-Unis, au terme de près d’un mois de stage, j’ai eu droit à la “Une” du journal : un reportage sur quelques facettes du pays de l’oncle Sam. Un accomplissement pour moi.
Il ne s’agit pas pour moi de relater ici dans les moindres détails tous les moments (des kilomètres de pages ne suffiraient sans doute pas) que j’ai vécus dans le journal, ni citer tous les journalistes et les responsables qui se sont relayés à la tête du journal, que j’ai pu côtoyer, ni les personnages que j’ai connus, encore moins tous les événements auxquels j’ai assisté, les reportages et les entretiens que j’ai réalisés, les pays et les régions que j’ai visitées. Ce sont juste quelques fragments épars d’une tranche de ma vie dans une rédaction où j’ai pu exercer l’un des plus fabuleux métiers. J’ai connu des moments exaltants, des personnes extraordinaires, mais aussi des forces d’inertie. En près de deux décennies à Liberté, j’ai pu suivre les évolutions, les mutations et les tourments de mon pays. Mais j’ai pu aussi mesurer les limites de l’exercice d’un métier à l’ombre d’un régime autoritaire. J’ai assisté également à la déchéance et à la régression morale d’une partie de la corporation. Je ne quitte pas aujourd’hui Liberté, mais c’est lui qui nous a quittés. C’est un jour triste pour nous tous. Pas seulement pour ceux qui l’ont fait, qui se sont sacrifiés pour lui, mais pour toutes les forces de progrès et qui luttent pour la promotion d’une perspective démocratique au pays. Mais ce fut une belle et fabuleuse aventure. Si le titre disparaît, la devise qu’il a portée – “Le droit de savoir, le devoir d’informer” –, en revanche, doit demeurer le credo de tout citoyen épris de Liberté. Car, dans ces moments d’incertitudes que vit notre pays, le droit à l’information doit être un combat de tous les jours. Et la bataille est loin d’être gagnée. En fait, elle ne fait que commencer. Ce fut et ce sera toujours ma ligne de conduite. À bientôt.

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    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

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